Le Jeudi 2 Février 2023, trois élèves (une petite fille et deux garçonnets (CP2 et CP1) de l’ École primaire publique de Sanloaga meurent sur la piste rurale de Enamounfoali. Un village proche de Kouampante, après Djoatou, à 5 Km au nord-est de Bagré [ chef-lieu du canton, du même nom]. Ces élèves faisaient partis d’une délégation des membres d’une famille en route pour les cérémonies funéraires de quatre proches parents à Gnali, un village situé à 8 km de Bagre. Ces quatre personnes avaient été assassinées , égorgées par des assaillants, la veille, 1er Février 2023, dans la nuit. C’est en route, assis dans un tricycle que les trois élèves accompagnés de 18 autres personnes meurent des suites d’une explosion d’un engin improvisé (IED), enfoui dans la rue. Ce même jour,un camion logistique de la Nouvelle société cotonnière du Togo, saute aussi sur un engin explosif improvisé, sans faire de victimes. Le lendemain, le 03 Février 2023, deux personnes sont assassinées à l’armé blanche, et deux autres blessés par des assaillants, à Bagre. Les jours suivants le 3 Février, la panique s’empare des esprits des villageois de Kouampante, Enamounfouali et de certains habitants de Bagré, qui fuient leurs concessions en direction des villages voisins. Ces populations viennent s’ajouter aux populations de Djaotou qui avaient fui, après l’égorgement d’un homme et de sa femme, le 15 janvier, laissant des enfants mineurs, et l’explosion d’un engin explosif dans ce village, et dans le village voisin de Tiwouri, le 28 janvier 2023.
Route de Bagre -Enamounfali. C’est cette voie qui attriste les élèves de l’école primaire publique de Sanloaga. Désormais, chaque voyage sur ce trajet à l’entrée de Kouampante, dernier village avant Bagre , les élèves de l’EPP Sanloaga s’en souviendront. C’est là qu’un engin explosif a tué leurs camarades, le 02 Février dernier. Il s’agit de Lenli Edrissa, Lenli Mariama au CP2 et Komna Eliassou au CP1.
Sanloaga, village martyrisé depuis 2021, par les groupes armés extrémistes, n’a pas encore fini de pleurer ses morts, après une crise humanitaire jamais égalée. Privé de tout, y compris de la sécurité, Sanloaga qui a vu sa jeunesse en fuite vers les pays voisins, peine à se tenir débout. Les malheurs se succèdent; si ce n’est des militaires qui meurent sur son sol, ce sont ces jeunes qui sont enlevés , et des mines qui explosent. Pour la première fois, depuis le début de cette situation, un engin explosif improvisé, tue des écoliers. Une mort atroce, de petits enfants, à fleur de l’age. Et, pour leur famille, c’est une mort de trop, une douleur inconsolable. Une œuvre des groupes armés extrémistes qui écument cette partie frontalière du Togo avec le Burkina.
Après plusieurs incursions en terre togolaise, ces groupuscules ont été repoussés par les éléments de l’opération Koundjoaré. Plusieurs de leurs bastions ont été détruits et des colonnes décimées par la puissance de feu des FAT. Comme la nébuleuse, sentant sa capacité de nuisance maîtrisée, Ansarul Islam s’est muée en caméléon. D’abord en recrutant au niveau local, mais en suscitant des complices tapis dans la pénombre. En déposant les armes pour un temps, parce que contraint par une supériorité des GILAT, l’organisation terroriste a continué de semer la terreur avec d’autres moyens. Les mines et les épées, tuant les civils, en majorité, et les militaires par fois. Nous sommes dans le Kpendjal, surtout ces villages frontaliers avec le Burkina, au nord-Est.
Le phénomène…..
Du 05 janvier au 05 Février 2023, le fusils des terroristes et les embuscades ont laissé place aux engins explosifs improvisés ( IED) et à l’usage des armes blanches contre les civils. Les attaques contre les positions des forces de défense et de sécurité ont cédé la place, à l’implantation des mines artisanales au-delà du périmètre jadis considéré par les GILAT de « Zone rouge», mais aussi de l’annexion de nouveaux villages comme Djoatou, Enamoufouali et Gnali. Ces villages sont devenus de nouveaux foyers de tension par l’usage des IED, et l’épée par endroit, avec comme conséquence, la fuite massive des civils, et son corollaire de crise humanitaire. Mandouri, chef-lieu de la préfecture, devient le nouvel épicentre de la crie humanitaire.
L’implantation d’un engin explosif dans les villages comme Djoatou et Enamfouali, villages proches de Bagre, jadis paisibles, augure une forme d’extension de conflits, qui contamine de nouveaux villages. Mais surtout, élargit le périmètre de la zone dite très dangereuse que composent les villages comme Tiwouri, Kpembol, Lallabiga et Sonktongou. Pour certains habitants, il s’agit d’une technique de combattants qui maîtrisent lesdits villages avec en toile de fond de semer la panique et la terreur, afin de les vider . C ‘est en étroite ligne avec ce qui a été fait le 18 janvier, lors que lesdits assaillants ont fait irruption dans le Village de Banangandi et Tchimoury pour voler leurs bétails et menacer de représailles contre certains villageois. Ce qui avait entraîné la fuite des populations civiles. Certains ont élu domicile à Pognon, un canton voisin.
Pour ces combattants, la mainmise sur le bétail des populations locales augure une nouvelle technique de pression sur lesdits villageois, dont ils ne maîtrisent point. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une force de représailles contre les populations insoumises qui refusent leur deal. Mais aussi d’une population qui collabore avec l’armée togolaise, dont il faut spolier leurs biens et les déguerpir. De loin, cette technique similaire est implémentée avec plus de sauvagerie, lorsqu’il s’agit de viser les engins des civils avec des engins explosifs. Mais surtout de procéder à l’égorgement des civils, qu’ils jugent collaborateurs des militaires. Il s’agit des assassinat ciblés, sommaires , visés sur certains membres de la communauté. C’est en ce sens que les civils sont égorgés à Bagré, Djoatou et surtout Gnali, pour semer la terreur, et surtout dissuader les autres membres qui voudraient se confier à l’armée. C’est que pensent un certains nombres de forces de défense et de sécurité.
Avant ces villages sus-cités, Sanloaga l’a vécu, Kpembol, Blamonga , Tchimouri , Kpinkankandi l’ont également expérimenté. Dans lesdits villages, les assaillants avaient expliqué, qu’ils s’agissait de représailles contre ceux qui avaient prêté assistance aux autorités. Mais la situation a été vite maîtrisée avec l’implantation des unités combattantes dans les différents villages , sauf Kpembol, le village fantôme, qui survit. Ledit village est vide. Les militaires qui s’y rendent parlent d’un «village qu’on démine à chaque fois, mais les assaillants minent de nouveau». C’est village logé dans les montages, frontalier au Burkina, qui subit de plein fouet la nébuleuse terroriste.
Ces usages d’armes blanches pour des exécutions ciblées dénotent le caractère asymétrique du conflit, mais aussi du degré de complicité interne. Bref, d’une forme de règlement de compte sur fond d’activités des groupes extrémistes. Il s’agit aussi des limites franchies, lorsqu’il s’agit d’utiliser des armes conventionnelles. Ce qui suppose que ces combattants savent que tout coup de feu, attire l’attention de l’armée postée, à des distances données, et des patrouille en activité.
Les difficultés physiques….
Les distances entre les concessions surtout dans les zones comme Djoatou, Enamounfouali et Gnali, ne facilitent pas la rapidité des échanges d’informations. Ce qui laisse souvent une marge de manœuvre aux assaillants, qui accomplissent leur basses besognes.L’expérience de Blamonga, en est une illustration, dans la mesure ou l’armée postée à 15 km, est arrivée sur les lieux, après les assassinats.
Nous sommes aussi dans des villages très enclavés, et privés de lumière, de bonnes routes, avec des concessions vétustes , qui laissent des villageois en posture de cibles fragiles. L’abandon de la préfecture de Kpendjal par l’Etat central depuis plusieurs années, fait de cette zone un maillon faible et fragile aux incursions extrémistes.
La nature aidant, les arbres qui servent de réserve aux animaux sauvages contribuent à cacher les assaillants. L’Est de Djoatou, Enamounfouali jusqu’a Souktangou contient des arbres touffus qui abritent quelques animaux sauvages. Sur la distance d’environ 25 km qui sépare Bagre de Sanloaga, via Djoatou, Enamounfouali, il n’y a ni lumière, ni une route pavée. Il s’agit d’une piste rurale construite en novembre 2022, par l’Etat, dont le pont est toujours en chantier. Elle est donc unique pour les allers et retours. Nous sommes également dans une zone d’enchevêtrement entre les localités frontalières du Bénin et du Burkina, qui servent de nids aux extrémistes. Les limites frontalières sont poreuses.
L’armée qui est postée à Bagré et à Sanloaga, soit 25 km d’intervalle ne peut pas assurer la sécurité pendant la nuit de toutes les concessions desdits villages, au regard du nombre de militaire comparé aux concessions. Ainsi, les villages, la nuit tombée, sont laissés à eux-mêmes, alors que l’armée patrouille, par endroit.
Ce qui pourrait être fait…
Il faut accélérer l’électrification de la zone. Mais aussi aller rapidement vers la mise en place des États majors civils dans chaque village en collaboration avec les FAT, basés sur les groupes de veille et de renseignement. Il faut procéder au déminage systématique des rues principales, chaque matin, surtout des pistes les plus pratiquées, dans les zones rouges. Renforcemer la collaboration entre l’armée et les populations, et surtout mettre en place des cellules de veilles nocturnes dotées des technologies de communications en lien avec les FAT. Former les conducteurs de tricycles sur les détections de IED et le signalement des individus suspects. Il faut éviter la stigmatisation et apporter du soutien humanitaire à ces différentes populations. Apprendre à communiquer avec les populations dans la langue locale et les sensibiliser sur la cohésion sociale, en lien avec l’armée. On pourrait ouvrir un camp entre Djatou et Enamounfouali.
Le basculement de ces différents villages jadis paisibles, alors que l’armée est postée à des entrées principales, dénote de la capacité de mobilité de la nébuleuse et de son imprévisibilité. La mort des écoliers montre sa capacité de nuisance en temps records. La victoire n’est possible qu’avec les populations. Mais cette population a besoin d’etre soutenue, préparée, accompagnée et comprise. Des solutions à expérimenter devraient venir de là, en fonction des réalités locales, non des copies collées, souvent concoctées de Lomé. Toutes stratégies mises en œuvre sans les populations locales, pourraient souffrir de résultat immédiat. Les populations sont les premières victimes, les premiers boucliers et les alliées certaines. Il faut prendre vite en charge des déplacés qui ont fui et qui vivent dans les différents villages.
Edouard Kamboissoa Samboé
Laabali.com