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Éducation

Mariage forcé : Un fléau qui résiste au temps dans le Kpendjal

par Robert Douti - 2025-04-16 08:11:11 575 vue(s) 1 Comment(s)

Des adolescentes placées en apprentissage, des jeunes collégiennes et parfois même des écolières du primaire sont mariées de force, parfois livrées par leurs propres parents. Enlèvements, mariages forcés, décrochage scolaire : dans le Kpendjal, l’insécurité n’est pas que militaire. Elle est aussi sociale et sexuelle. Une violence muette étouffée par la peur, la misère et l’ignorance dans cette partie du nord Togo en lutte contre l’insécurité terroriste depuis 2021. Zoom sur cette réalité sociale qui résiste au temps en silence.

« C’est ma propre mère qui m’a donnée en mariage ». La voix de Dapampoua tremble à peine, mais ses paroles résonnent comme un verdict sans appel. Revenue du marché un soir, sa mère lui avait annoncé sans détour qu’un jeune homme récemment rentré de l’aventure l’a approché pour lui déclarer qu’il désirait sa fille. Le choix était déjà fait. « Je n’ai rien pu dire. Chez nous, un enfant ne doit jamais désobéir à son géniteur », confie Dapampoua dans la cour extérieure de la maison familiale. Nous sommes dans le village de Gnindjenga.


En cette matinée de mars, le sentier ocre qui s’enfonce sous l’ombre des rôniers s’anime comme une fourmilière. Des charrettes grincent sous le poids des briques ou du bois mort, tirées par des ânes aux pas lents sous la surveillance d’une horde de gamins pieds et torse nus, fouets en main. Des femmes avancent en file, bassines d’eau, fagots de bois ou paniers de vivres en équilibre sur la tête. Les salutations fusent, mêlées au bruit des sabots et au crissement des roues sur la terre battue. Certains s’en vont au marché de Tchimouri, d’autres, allant dans la même direction que nous, remontent vers les hameaux de Téléga, Lidoli ou Kpéntindjoaga. Il y’a encore quelques mois, ces villages vivaient dans la peur sous la menace des groupes extrémistes. Mais, aujourd’hui, la présence de l’armée rassure les populations et la vie a repris ses droits. Le long de la piste, des dalots fraichement installés témoignent d’un chantier en cours.


C’est au bout de ce chemin vibrant que nous arrivons devant une concession modeste. Là, les salutations sont reçues avec ferveur et sourire, lorsqu’une voix prononce le prénom, de la fillette. Mais ce bref moment de chaleur laisse vite place à un silence pesant. Adossée à un arbre, la face contre le sol, Dapampoua évite le regard. A ses côtés, Olivia sa sœur cadette, cinq ans, se tient tout contre elle, un geste qui à lui seul, laisse entrevoir l’absence de chaleur maternelle. Le décor en dit long : trois cases rondes coiffées de toits de pailles en décomposition, entourant un petit bâtiment en banco couvert de tôles rouillées. Dans cette concession précaire, c’est Dapampoua, treize ans à peine, qui tient le rôle de maitresse de maison. Leur mère, usée par la misère et les violences d’un mari instable, a fini par abandonner le domicile conjugal, livrant sa fille à un destin qu’elle n’a pas choisi.

Une histoire de frais d’apprentissage

Tout aurait pu se passer dans l’indifférence totale. Comme bon nombre de ses camarades, Dapampoua aurait disparu dans les mailles du silence, livrée au mariage dans une indifférence absolue. Mais, la nature, sous le poids de la culpabilité de son silence face aux supplices infligés aux filles du Kpendjal, a fini par se rebeller. Comme pour se racheter, elle s’est enfin résolue d’écarter le voile de nuages qui dissimulait cet enfer quotidien. Et, c’est une banale histoire de frais de contrat d’apprentissage non payés qui, portée jusqu’à la gendarmerie, a permis de mettre à nu une pratique pourtant courante dans le milieu.
En effet, il y’a deux ans, dame Latifa, maitresse tisserande et commerçante à Tchimouri, avait sollicité Dapampoua auprès de sa maman pour l’aider à vendre du riz au petit marché du village. Moyennant 2500f CFA par mois, la jeune fille s’acquittait de sa tâche avec rigueur. Visiblement conquise par son sérieux, la patronne lui proposa, après quelques mois, d’apprendre le tissage. Bien qu’elle vît en cette proposition une chance de construire son avenir, elle demeura inquiète, consciente que ses parents n’avaient pas les moyens de payer sa formation. Après deux ans d’apprentissage, la maman incapable de s’acquitter des frais du contrat (120000f CFA). En manque de ressources et sans perspective, elle décide de proposer à un jeune de lui donner sa fillette en mariage. L’époux en échange, s’engage à régler la somme due.
Après son mariage, la jeune fille cessa de fréquenter l’atelier. Ni ses parents, ni sa patronne ne semblaient pourtant s’en émouvoir. Lorsque cette dernière décida enfin de s’en mêler, ce fut moins par souci de la formation interrompue que dans l’espoir de récupérer les frais engagés. L’avenir de de la fillette semblait être la priorité de personne. Dame Latifa porta l’affaire à la gendarmerie après plusieurs tentatives infructueuses auprès des responsables locaux de la chambre des métiers. C’est là que le pot aux roses est découvert : la jeune mariée n’a que treize ans. Le père et le mari sont placés en garde à vue, la mère est introuvable. Ils seront relâchés au bout de trois jours mais la gendarmerie ordonne que Dapampoua soit ramenée chez ses parents et qu’elle retourne à son atelier. N’eut été la réaction d’une artisane attachée à ses droits, le drame se serait joué à guichets fermés, dans une région où les regards se détournent et où les voix s’éteignent de plus en plus.
Loin d’être un cas isolé, l’histoire de Dapampoua, aussi bouleversante soit-elle, ressemble à celle de plusieurs filles de son âge. A Tambonga, le chef de canton raconte un cas récent.  » Cette semaine j’ai dû trancher un litige dans ma cour. Il s’agissait d’une apprentie couturière du village de Tolankatiga prise en mariage alors qu’un autre homme avait déjà payé ses frais d’apprentissage. Ce dernier apprenant que la fillette avait épousé un rival, a porté plainte chez le village pour réclamer le remboursement de ses dépenses. Après vérifications, j’ai convoqué le mari pour lui ordonner de rendre la fille encore mineure. Une semaine après, il ne s’est pas exécuté. J’ai donc confié l’affaire à la gendarmerie. »
Dans les profondeurs silencieuses du Kpendjal, bien d’autres destins basculent au quotidien, parfois dans une ombre épaisse loin des regards des organisations féministes et des défenseurs des droits humains.

A l’école mais pas à l’abri

Dans le vestibule d’une concession à Malgbongou, un village de la commune de Kpendjal-Ouest, niché à une trentaine de kilomètres à l’Est de Dapaong, un quinquagénaire fixe le vide, assis sur une latte de rônier. Depuis deux mois, Ikande Lambon et son épouse sont sans nouvelle de Larba, leur fille de quatorze ans. Lorsqu’il tente de raconter, il cherche les mots, sa voix tremble. Puis, d’un geste brusque, il se lève sans mot dire, entre dans une case et revient avec un sac d’écolier et une robe kakie. Il s’assied de nouveau, vide le sac devant nous : des cahiers, un stylo, quelques cahiers comme pour dire que les mots seuls ne suffisent pas. « Elle était en classe de CM2… » finit-il par lâcher.


A ses côtés, sa femme tient un nourrisson sur ses genoux. Une main sur le menton, les yeux dans le vague, elle semble ailleurs. Son cœur, lui, est resté suspendu à cette soirée du 3 janvier 2025. « Habituellement, les week-ends, Larba et ses camarades partaient au champ pour récolter du haricot, ça leur permettait d’avoir un peu d’argent de poche », raconte-telle. « Ce jour-là, elle est partie dans le village de Djimonbende avec une amie. Mais à la tombée de la nuit, elle n’était toujours pas rentrée. L’inquiétude gagne rapidement toute la famille. Les recherches entamées dans les environs restent vaines.
Trois jours plus tard, le chef du village, qui n’est autre que l’oncle de Larba, arrive dans la cour familiale accompagné de trois hommes. Ils portent des présents. L’intention était claire. « Ils sont venus nous dire qu’ils ont pris ma fille en mariage », lance la mère révoltée. « Et pour se protéger, ils ont fait cautionner ça par son oncle ». L’accueil fut glacial et les visiteurs sont renvoyés sans cérémonie. La plainte déposée à la brigade territoriale de Tambonga conduit à la restitution de Larba à ses parents. Le ravisseur Djidame Sambiani, pourtant à deux doigts d’un déferrement, échappe à la prison grâce aux interventions d’autorités locales et coutumières soucieuses de préserver le vivre-ensemble. Mais, c’était sans compter sur la mauvaise foi du veuf : deux jours plus tard, décidé à trouver une remplaçante à son épouse décédé quelques mois auparavant, enlève de nouveau la fillette, cette fois- ci sur la route du marché, envoyée par sa mère.
Les cas sont innombrables, et bien souvent ne datent pas d’hier. Le phénomène, enraciné dans les pratiques locales, continue de faucher des parcours scolaires et d’éteindre l’avenir des jeunes filles, loin des projecteurs. A Djibontoti toujours dans la même commune, c’est Assibi Dambiale, âgée de seize ans et élève qui a été enlevée par un jeune du village de Tamondjoaré. L’intervention rapide de la gendarmerie a permis de retrouvée la fillette au bout de trois jours. Mais, depuis cet épisode survenu au premier trimestre de l’année scolaire 2024-2025, la fillette ne s’est plus revêtue de son uniforme kaki. Le Directeur d’école, contactée pour des précisions, a confirmé que Dambiale Assibi, malgré les efforts de la réintégrer, n’est plus jamais revenue en classe après son enlèvement. Sa mère explique que sa fille lui a confié craindre les moqueries de ses camarades.

Ignorance, précarité et insécurité : les racines d’un fléau

Situé dans le Gourma Togolais, le Kpendjal porte les stigmates d’un territoire où les traditions ont la peau dure. Dans cette société fortement patriarcale, la femme occupe une place ambivalente : précieuse mais peu considérée dans ses droits. La polygamie y est répandue, et les pratiques comme les mariages par échange ou par enlèvement, loin d’être révolues, continuent d’alimenter les mariages précoces. Le silence ou la complicité des autorité locales, l’absence des sanctions contribuent à entretenir l’impunité.
Le phénomène des mariages précoces est préoccupant dans le canton, selon sa Majesté Damtal 1er, chef canton de Tambonga. « C’est un dossier brulant et cela me préoccupe. Mes chefs de village ont été sensibilisé mais ils me cachent des informations. », déplore-t-il. Pour lui, l’ignorance constitue l’un des facteurs clés de cette situation. Bien que la première école du canton ait été créée en 1962, il regrette que les enseignants qui s’y sont succédé n’aient pas su ancrer durablement la valeur de l’éducation dans les mentalités.


A cette explication s’ajoute d’autres facteurs : « Dans la préfecture de Kpendjal l’école est perçue comme un long parcours incertain, surtout pour les filles », confie Alidou Zakali, enseignant du secondaire. Selon ce natif de Kpendjal-ouest, l’absence de modèles féminins, le poids des traditions religieuse et la pauvreté conduisent nombre de familles à privilégier un mariage précoce. « Beaucoup estiment qu’une fille instruite devient insoumise, alors mieux vaut l’orienter tôt vers le mariage », ajoute-t-il.


La situation s’est davantage détériorée ces dernières années sous l’effet conjugué de la pauvreté croissante l’insécurité persistante marquée par des assassinats, le pillage du bétail et la destruction des récoltes. Cette situation a contribué à plonger les familles dans une précarité qui expose davantage la jeune fille considérée très souvent comme une charge supplémentaire. Dans un tel contexte, la fille devient un bien que l’on cède facilement. Pour quelques noix de colas, du tabac, ou encore quelques pots de bière locale, des familles acceptent de donner leur enfant en mariage. Le geste répété d’un prétendant suffit parfois à faire pencher la balance, espérant désormais une assistance ponctuelle de sa part une fois devenu gendre, témoigne un infirmier à la retraite ayant longtemps exercé dans la zone.
Des oreilles tendues, dans certains villages, rapportent des propos qui en disent long sur la perception de la jeune fille dans certaines communautés. « Je n’ai rien mangé, je ne peux pas donner ma fille en mariage dans cette famille », lancent souvent des femmes. Une phrase qui résume crûment une réalité où les considérations économiques priment sur la dignité et l’avenir des adolescentes. Et pourtant, depuis 2022, une loi régit la protection des apprenants contre les violences à caractère sexuelles au Togo. Selon la substance de cette loi, l’auteur de grossesse et de violence sur les élèves ou apprentis encourt des peines de prison et des amendes. Mais dans cette région, elle peine à être appliquée.

Paroles de témoins

Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, il faut écouter ceux qui l’ont vécu de près. « Le phénomène ne date pas d’hier, et pourtant je croyais que le temps aurait fini par changer les choses », confie un instituteur, encore marqué par une scène à laquelle il a assisté en 2012, dans le village de Tchimouri.
« Ce jour-là, des hommes ont fait irruption dans la cour de l’école, armés de gourdins, en criant : Ou- est Adjoumpoua ? Aujourd’hui, tu ne nous échapperas pas ! Sors ! » Pris de court, il se tourne vers le Directeur qui lui conseille de rester prudent. Le chef d’établissement reçoit les visiteurs dans son bureau pour vérifier s’ils avaient au moins l’accord de la famille de la fillette. « C’est là que j’ai compris : la petite devrait être donnée en mariage à un homme de la famille de sa mère. On la réclamait comme une sorte de remplaçante », raconte-t-il sous couvert d’anonymat
Dans une autre école du Kpendjal, un directeur d’école se souvient d’un cas tout aussi troublant. « Directeur, cette fille c’est notre femme. Elle est la remplaçante de notre tante. » C’est en ces termes qu’un parent d’élève s’est un jour adressé au directeur d’une école. « Je lui ai clairement dit que s’il s’aventurerait à quoi que ce soit, je préviendrai la gendarmerie. Il a reculé, du moins en apparence, mais il n’a jamais désarmé. »
La jeune fille en question comptait pourtant parmi les meilleures élèves de sa classe. A la fin de l’année scolaire, elle a réussi brillamment au CEPD et reçu des récompenses. « Nous sommes partis en vacances, ils ont profité pour l’enlever. Direction : la Côte d’ivoire. A la rentrée, quand nous sommes revenus, il était trop tard. » Le directeur, visiblement affecté, conclut : « Il n’y a pas longtemps, elle est passée ici nous saluer… Elle est déjà mère de deux enfants ». Ces différents témoignages lèvent le voile sur l’ampleur et la complexité du phénomène.

« Nos ressources sont limités »

Face à la persistance du phénomène, les services sociaux essaient d’agir, mais leurs moyens restent limités. A la direction préfectorale de l’Action sociale, de la solidarité nationale et de la promotion de la femme de Kpendjal-Ouest, Abel Adjafi, le directeur, reconnait que les mariages forcés et précoces sont loin d’être des cas isolés : « C’est un phénomène bien réel, et malheureusement récurent. Nous intervenons à travers des séances de sensibilisation et des causeries-débats dans les établissements scolaires ». Mais, ces efforts sont freinés par le manque de moyens. « Nos ressources sont limités, et nous n’avons qu’un seul agent de terrain, basé à Papri, pour couvrir toute la préfecture », regrette-il.
Robert DOUTI
Laabali

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