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Opinion

Kpembolé /Kpendjal: Chronique du retour au cœur d’un village assiégé par les djihadistes

par Edouard Samboe - 2022-12-01 11:38:48 673 vue(s) 0 Comment(s)

Kpembolé, un village, environ 50 km de la ville de Mandouri, préfecture de Kpendjal, extrême Nord-Est du Togo (région des savanes). Plus d’une dizaine d’hommes ont été égorgés, dans la nuit du 14 au 15 juillet 2022 par des individus enturbannés. Quelques heures plus tard, les mêmes groupes armés djihadistes ou affiliés lançaient un ultimatum aux villageois de quitter les lieux. Des gorges tranchées, des corps abandonnés et images des visages apeurés, comme une onde de choc, ébranlaient tout le Togo. On parle de soupçons d’exécutions ciblées contre les hommes de cette localité. Un drame inoubliable. Une semaine après, nous y étions.

En Gourma (langue parlée de la localité, une ethnie proche du peuple Gulmantsé qui vit à l’Est du Burkina, au Nord du Bénin et au Nord du Togo), Kpembolé désigne « le creux d’une chute d’eau». Un village perdu nulle part entre les collines du Burkina Faso et le Togo. Un village frontalier entouré des arbres et des roches. Un village muet dont les concessions se comptent au bout des doigts. Ici, ce qu’on sait faire, ce sont l’agriculture et l’élevage. Aucun service public. Le 15 juillet, à l’aube, ce village presqu’inconnu de la majorité des Togolais allait faire parler de lui-même et se taire à nouveau dans un silence.

Maisons abandonnées du village de Kpembolé

Dix jours après, sans nouvelle venant de ce village, on arrive. Ce 24 juillet, avant midi, Kpémbolé s’apprête à recevoir ses premiers visiteurs civils. Un silence inquiétant plane sur ce qui nous attend. Et les personnes rencontrées ne nous rassurent point. Situé à plus d’une dizaine de kilomètres de Pognon, chef-lieu de la commune de Kpendjal-Ouest II, Kpembolé n’a rien d’agréable pour attirer l’attention des visiteurs. Un village logé dans les collines, parsemé d’une route difficile d’accès. Pour y arriver, il faut traverser les villages tels que Yamadjoaga, Tanloaga, Tchimoury et Banangandi.

A chaque question pour s’informer sur la situation du village, les interlocuteurs baissent les têtes ou se regardent, avant de sourire dans le coin des lèvres. D’autres expriment leur méfiance lorsqu’ils entendent prononcer Kpembolé. Ici, à Tanloaga et Tchimoury, les habitants sont méfiants face aux visages étrangers. On parle peu. Seuls les doigts indiquent le chemin à suivre. On traverse les rigoles et les bas-fonds. Dans une boutique proche du sentier pris, un groupe d’hommes. Lorsqu’on se renseigne, un homme se confie à nous : «Là où vous allez, il n’y a plus personne, ils ont tous fui, ils ne restent que…». Il ne termine pas la phrase avant de nous demander d’où nous venons. Puis, il pointe du doigt, comme pour indiquer un lieu de malheur. Il faut suivre la direction du doigt.

Une maison saccagée et abandonnée

Un coup d’œil en cette direction, on voit une colline, des broussailles. Il faut grimper, et la moto doit vrombir de plus belle. La peur gagne le ventre, mais nous sommes proches. Un seul chemin devant nous fend deux collines. «Chaque avancée compte, il faut être prudent», lance Robert Douti, journaliste membre de la mission. On avance, toujours pas de concession. On tremblote, faut-il continuer? « Il faut y aller, on est certainement proche du but», encourage Robert Douti. « On a trop enduré jusqu’ici, il faut achever la course», poursuit-il.

Et, d’un seul coup, nous voilà devant un trou laissé par l’écoulement d’eau de pluie. J’enlève le casque et on aperçoit à notre gauche des femmes dans un champ. Lorsqu’elles nous voient, elles entament la fuite. On s’arrête et Robert Douti s’écrie : « Ne fuyez pas, nous ne sommes pas de mauvaises personnes». Mais elles n’écoutent pas ; l’une d’elles s’écarte de plus en plus pour se camoufler dans la brousse. La peur au ventre. Dans quelle gueule du lion sommes-nous engloutis? On insiste pour demander la direction de Kpembolé dans ces collines perdues ; l’une d’entre elles pointe du doigt. On grimpe la colline, avec la peur au ventre d’une mine artisanale, d’une explosion de drone comme celle de Natigou.

Le pire est devant nous. Ces hommes armés pourraient surgir de nulle part. On avance, puis dans un creux, on voit des collines, des concessions, des champs de mil et de sorgho. On ralentit. Silence total ! Pas même un coup de pilon, encore moins de la fumée. C’est Kpembolé. Un des derniers villages du Togo en direction du Burkina. Un village frontalier sans frontières visibles. Ce silence qui règne met les visiteurs en alerte. L’air est lourd et l’ambiance inquiète. Des maisons abandonnées et des portes enlevées. Un seul signe de vie, une chatte qui s’enfuit, une chèvre qui court et une tortue coincée dans une cour abandonnée.

Au dehors d’une concession, une charrette, du bois de chauffage et tout autour du village des collines formées en chaînes. Nous traversons le village, le regard curieux. On cherche des signes de vie. Mais il n’y a rien ici, même pas une poule. Le chemin emprunté montre qu’il n’est pas assez visité ces derniers jours.

Au milieu des champs, on se fraie un chemin difficilement dans les ruelles des passants. Mais sans signe de vie. Kpembolé, un village fantôme perdu dans les roches. Tous les habitants ont fui. Pas de femmes, ni d’enfants, pas de témoin, encore moins d’un survivant. On filme, on fait des images et on prend la direction de retour.

On grimpe de nouveau la colline. On a peur d’une embuscade ou d’une bombe artisanale comme celle qui a explosé la voiture du commissaire lors de l’attaque du 14 au 15 juillet. Mais, il faut y aller. Arrivés au pied de la colline, les paysannes vues dans les champs ont toutes fui. De loin, on aperçoit ces femmes qui courent. On les interpelle : « Ne courrez pas, nous sommes des journalistes ». Silence radio !

On s’arrête devant l’une d’elle, elle court dans les champs en soupirant. On tente de la rassurer. Toutes nos questions ne trouvent point de réponse. Ici, on parle peu. On sent la peur et le traumatisme dans son regard. A 500 m de là, d’autres femmes se redressent, mains à la hanche et nous observent. A 50 km, une vielle femme couverte d’un pagne, accompagnée d’une petite, nous explique : « Tous les hommes ont fui; il ne reste que les femmes. Ils sont allés au Ghana. On dort la nuit dans la montagne et on regagne les maisons le jour». Que s’est-il passé à Kpembolé? « Ils ont tué les hommes et ils ont menacé les autres, les gens ont quitté», explique la vielle dame qui ne veut pas donner de nom. Lorsqu’on arrive à la boutique, une partie des individus qui ont entendu notre moto vrombir s’évadent dans la nature. Les autres nous regardent avec étonnement.

On quitte Kpembolé dans un climat de peur et d’incompréhension, laissant derrière nous des femmes aux regards évasifs et des habitants inquiets. On quitte Kpembolé alors qu’il est vidé de sa population. On se souvient avoir quitté Kpembolé avec un seul message : « Seuls les hommes forts (les soldats togolais) arrivent ici, depuis l’attaque du village, tous les hommes ont fui et ce sont les bergers peuls seuls qui peuvent aller dans les montagnes de Kpembolé», nous confie une dame âgée, qui s’est inquiétée de ne pas voir ouvert un camp militaire dans le village.

On regagne Tchimory. On entame la route de Blimonga, on se rend à Koundjoaré et puis, sur cette route rouge, un pont abîmé, un nid-de-poule causé par l’explosion d’une bombe artisanale. Mais surtout à Blimonga, des tombes des personnes égorgées, des familles endeuillées. Et sur cette route, parcourent les militaires lourdement armés.

A l’heure où les autorités locales ont demandé aux populations des villages attaqués par les terroristes de les vider, Kpembolé n’a qu’une chèvre, une tortue et une chatte.

Edouard Kamboissoa Samboé

Laabali

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