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Afrique

Trafic de carburant frelaté : les groupes armés  exploitent la contrebande du circuit Pendjari-Alibori

par Edouard Samboe - 2023-01-16 05:22:17 1292 vue(s) 0 Comment(s)

Sur la douzaine d’attaques terroristes dénombrées ces huit derniers mois sur le territoire togolais, sept sont dues au déclenchement de mines sur certains axes. Il semble également que les assaillants d’Ansarul Islam aient réduit leurs déplacements et leurs effectifs lors des agressions commises. Plusieurs causes sont à l’origine de ce changement de cap, parmi lesquelles le déficit du carburant et de vivres, dont les fournisseurs sont tapis dans l’ombre frontalière.

Voilà environ 21 mois que les groupes armés extrémistes ciblent le Togo. Les violences ont débuté en mai 2021, et les quatre principales attaques ont été revendiquées par le Jnim (acronyme arabe du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans). Cette coalition affiliée à Al Qaïda écume les frontières du Burkina, et se propage donc aux pays voisins, que ce soit le Togo ou le Bénin.

En Juin 2022, plusieurs éléments permettaient déjà d’imputer certaines attaques à Ansarul Islam, un groupe burkinabè dirigé par Djafar Dicko, et lié au JNIM. Même si des éléments purs et durs du JNIM participent aux opérations, notamment en fournissant de la logistique, cela reste une zone d’Ansarul Islam, qui s’appuie sur les (pasteurs) transhumants. Dans certaines zones du Burkina et du Mali, ils s’unissent parfois pour combattre les positions des forces de défense et de sécurité (FDS). Au nord du Burkina Faso, ils ont également uni leurs forces pour combattre l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS).

Parmi les signatures d’Ansarul Islam dans cette zone, on retrouve l’embrigadement de nombreux éleveurs de la zone frontalière, les menaces envoyées aux forces de défense et de sécurité via les populations civiles, la reconnaissance de certains combattants par les populations civiles aujourd’hui déplacés internes, l’absence d’exigence de conversion à une religion quelconque ou d’imposition de ports de vêtements religieux , encore moins de prédication. Les agressions sur les bases ethniques n’ont pas été relevées. Seuls les modes de recrutement ont été violents et de séduction par endroit. Le nord du Bénin et le sud du Burkina en sont des laboratoires.

Pour l’instant, on n’observe pas de bastion des groupes extrémistes au Togo. Ce qui limite donc l’éventuelle exigence de conversion religieuse des populations. Les groupes armés n’ont pas davantage réussi à imposer leurs dictat plus de 48 heures dans une localité togolaise, si ce n’est dans le village de Kpembol, situé dans une zone montagneuse et dans les zones de Lalabiga et Tiwouri où ils ont séjourné. Mais tout porte a croire que cette plus longue présence était occasionnelle. Ils se sont fondus dans la masse des transhumants qui écument lesdites localités, au cours de la saison pluvieuse, alors que l’armée n’avait pas maîtrisé la localité pour les déloger.

La plupart des villages togolais frontaliers du Burkina, tels que Sanloaga, Tiwouri, Kpembol, Kpinkankandi,Tambima, Sankartchagou, ont subi des incursions de ces groupes armés. Dans certains cas, ces incursions ont été violentes et récurrentes, occasionnant la mort de civils. Mais depuis mai 2021, les insurgés ont échoué à créer une base dans cette partie du nord-est togolais, comme ils l’ambitionnaient.

Ils conservent néanmoins une position avantageuse dans la « zone de confort » qu’ils occupent actuellement, dans la forêt de Kompienga (Burkina), à cheval avec le parc du Pendjari béninois. Ces grands espaces naturels transfrontaliers échappent toujours au contrôle des Etats. Ils en ont fait leur base arrière et viennent, ce qui leur permet d’opérer dans les villages voisins, de part et d’autre des frontières du Bénin, du Burkina et du Togo.

Du côté togolais, les forces armées togolaise (FAT) les tiennent en étau et ont pu repousser plusieurs tentatives d’agression contre le Togo. Il arrive même que les FAT les pourchassent jusqu’à la brousse d’Arlit (forêt burkinabè) et détruisent leurs positions dans les villages proches du Togo, comme Souktangou.

Sur le terrain, des sources (sécuritaires?) mentionnent une supériorité des FAT en matière d’effectifs et de puissance de feu, par rapport à ces assaillants. Ce qui justifierait selon ces mêmes sources le recours aux engins explosifs et aux embuscades contre les FAT. Ce qui est certain , c’est que les militaires togolais contrôlent leurs frontières avec le Bénin et le Burkina, surtout la partie de la zone infestée par les groupes extrémistes. Ils ont même incendié certains espaces pour dégager l’horizon et éviter les embuscades.

 Ces pistes qui fournissent du carburant

Comme d’autres avant eux, les groupes armés terroristes ont toutefois été confrontés à un problème d’accès au carburant dans cette zone. Le Togo n’est pas un producteur pétrolier. Avant l’insécurité, l’essence en provenance du Nigeria transitait le Bénin pour desservir cette partie du Togo et la zone frontalière du Burkina. Il s’agissait de carburant frelaté, qui contournait les postes douaniers pour s’imposer sur les marchés, à travers des bidons jaunes et des bouteilles.

A l’époque tout le monde était gagnant. L’Etat togolais n’a donc pas pris la peine d’assurer le développement de cette localité abandonnée. Pas de bonnes écoles, ni de centre de santé digne de ce nom. Partout, des villages enclavés. En dehors des travaux champêtres, les jeunes desdites localités n’avaient guère d’autres perspectives que de partir en aventure dans le Bénin voisin, le Nigeria et le Burkina. Les plaques des motos immatriculées dans ces pays l’attestent.

Jusqu’en janvier 2023, la préfecture de Kpendjal ne disposait pas de station d’essence. Tous les villages ciblés par les groupes extrémistes autrefois attachés au grand Kpendjal obtenaient leur carburant du Bénin. Et en temps de paix, douaniers et autorités togolaises fermaient les yeux.

Tout comme le Togo, le Burkina Faso, dans cette zone, tirait également l’essentiel de son carburant du circuit […]

Tout autour de la frontière de 285 kilomètres qui sépare le Bénin (au nord-ouest) du Burkina Faso (au sud-est), la problématique du carburant obtenu par les groupes extrémistes pose donc question. Le Burkina avant le Togo payait le lourd tribut des financement en carburant des groupes extrémistes. Le trafic de carburant touche les villages frontaliers dont les frontières sont les plus poreuses. De la frontière du Togo avec le Burkina , à celle du Bénin, tout est poreux. Les contrebandes s’infiltrent et la corruption y règne.

De la Pendjari, dans le nord-ouest du Bénin à la frontière avec le Burkina Faso , l’Alibori béninois , frontalier du Niger vers le Nigeria , le carburant se trafiquait. De la ville de Matéri, jusqu’à Kompienga, le trafic était quotidien. La ville de Mandouri, Pognon, Koundjouaré, même Naki-Est en ont profité. Le village de Koualou, est réputé être la plaque tournante de toutes les contrebandes. Il s’agit du Sodabi, des faux médicaments, du carburant, des fusils de chasses, les filets de pêches , du sucre , etc. Ce qui ont longtemps tenu l’économie dans cette zone, ce sont biens les béninois, qui ont une frontière avec le Nigeria, d’où, ils tirent tous les produits de contrebande», nous explique un jeune collégien de Djanfonden, un village béninois.

«C’est ainsi que la plupart de ceux qui vendaient du carburant frelaté, étaient détenteurs des boutiques et vendaient du sodabi», nous explique un aventurier de ce métier, à Mandouri. En effet, que ce soit à Mandouri, à Tanloaga, Bagre ou Pognon, les jeunes béninois excellent dans ces affaires de boutiques et de sodabi, mais aussi de maquis. Ils sont là et dominent la localité économiquement.

Il est connu que la frontière Bénin–Burkina Faso est plus longue que celle Burkina-Togo. Il est aussi connu que les groupes extrémistes contrôlent cette partie jusqu’à la frontière du Benin avec le Niger et le Nigéria. Cette bande est une piste forte d’entrée de carburant frelaté et de la cigarette sur le sol togolais.

De Kpantali, la frontière nord-est du Togo avec le Bénin à Yambouate, la frontière nord-ouest du Togo avec le Burkina, tout est sous contrôle des militaires togolais depuis plusieurs mois. Les voies d’accès du carburant sur le territoire togolais se sont amincies, surtout avec l’annonce de l’interdiction.

Il est très difficile d’avoir du carburant à Tambate, Bagre , Mandouri, Tanloaga, à cause des mécanismes d’interdiction de transport et de vente.Désormais, beaucoup sont ces détenteurs des engins roulants de ces localités qui parcourent plus de 30 km à Borgou et à Korbongou pour s’acheter du carburant.

Des pistes de vivres

Depuis les agressions terroristes sur le sol togolais et la panique que cela a semé, les populations des villages frontaliers avec le Burkina avaient fui. Nombreux sont revenus et d’autres n’y sont pas revenus. Nombreux n’ont pas pu cultiver leurs champs et vivent une crise humanitaire jamais égalée. Ils ont également accueilli les membres de leurs familles qui ont fui les localités du Burkina pour se réfugier dans leurs maisons. Comme à Sanloaga, à namounfouali, Bagre, Mandouri ou Tambate, la situation sociale est critique. Il n’y a pas assez à manger pour plusieurs familles. Certaines familles ont perdu leur bétail et ne peuvent plus les faire paître, à cause des difficultés de déplacements. Ils sont économiquement asphyxiés. C’est le constat sur le terrain. Aussi, les parcs animaliers sont fermés, car soupçonnés de financer du terrorisme.

Les marchés de Koundjouaré, Mandouri, Tanloaga ou pognon, dans la grande majorité sont animés par les étrangers, qui viennent de Dapaong, Bénin ou Cinkansé. Le pouvoir d’achat est faible pour les populations locales. La plupart du temps, les jeunes envisagent partir en aventure, si la situation perdurait, alors que d’autres sont déjà partis au Ghana, au Nigeria et côte d’Ivoire.

La province de la Kompienga , region frontalière avec le Togo , est aussi exsangue économiquement. A plusieurs reprises, les populations ont marché pour demander à manger. Le gouvernement burkinabè a plusieurs reprises a fait acheminer des vivres par hélicoptère.

Tout comme le carburant, les vivres constituent une difficulté pour les populations de ces zones, qui sont sous blocus. Ces populations doivent vivre sous les exigences de l’armée qui assure leur sécurité, mais aussi dans la hantise de se faire violenter par les manœuvres terroristes.

L’une des principales pistes d’entrée du carburant dans les zones occpées par les groupes terroristes, c’est le parc W Arlit/Pendjari qui lie le Burkina et le Bénin , jusqu’au Niger et Nigeria. Depuis, très longtemps, cette zone est un carrefour de contrebande  et de trafic de tout acabit, à cause de son relief, de la diversité des frontières, et aujourd’hui, avec la mainmise des groupes extrémistes dans la zone; lesquels groupes ont besoin de la continuité du marché noir pour exister.

Samboé Edouard Kamboissoa

Laabali

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