Les rideaux des luttes traditionnelles Évala sont tombés ce 21 juillet 2024 dans la Kozah. Cette fête initiatique qui célèbre la bravoure du jeune Kabyè rassemble chaque année des spectateurs du monde entier, faisant du chef-lieu de la Kozah un véritable carrefour culturel. Si l’édition de 2024 a connu un succès éclatant, une image captée par des regards curieux jette une ombre sur ces festivités : des prêtres traditionnels « Tchôdjona », attendant la reconnaissance devant une voiture de dignitaire. Cette scène symbolise la dévalorisation de nos gardiens de traditions et appelle à une réflexion profonde sur la place et le respect des figures sacrées dans la société Kabyé contemporaine.
Les luttes traditionnelles Évala sont un moment phare de la culture Kabyé, une célébration et une communion où les jeunes démontrent leur bravoure et leur force. Cependant, au-delà de cette fête culturelle, se cachent des réalités préoccupantes sur le respect et la place des prêtres traditionnels « Tchôdjona » dans notre société actuelle.
Lors de la finale dans le canton de Lassa le samedi 21 juillet 2024, une scène frappante a attiré mon attention : des prêtres traditionnels, vêtus de leurs tenues de cérémonie, attroupés aux abords de la voiture d’un dignitaire. Attendant apparemment une quelconque reconnaissance, ils se tenaient là, les pieds dans l’eau, leur dignité piétinée, leurs valeurs bafouées. Cette image poignante est un triste reflet de la place dégradée qu’occupent aujourd’hui nos prêtres traditionnels. Cette triste réalité, loin d’être spécifique à la Kozah, prend malheureusement une envergure nationale. Des prêtres vaudous aux pagnes blancs teintés d’huile de palme, résultats des bagarres autour du Djenkoumé (pâte de maïs préparée avec de l’huile rouge lors des rituels chez les peuples du sud Togo), n’est pas une nouveauté. Des oreilles tendues racontent qu’en juin 2021, dans le village de Djakpernague (Commune de Tône 3), une bagarre s’était éclatée dans le vestibule d’une maison mortuaire suite à une affaire de vol de viande. Les auteurs n’étaient personne d’autre que les anciens, chargés des rites funéraires. Le hic, c’est que la scène s’est passée lors des funérailles de deux jeunes ouvriers morts accidentellement en rentrant à Cinkassé. Ils étaient revenus enterrer un de leurs amis, maçon de profession.
En revenant sur la triste image de Lassa, il est crucial de se demander : pourquoi ces prêtres devraient-ils quémander l’attention ou la gratitude ? Si le dignitaire en question voulait vraiment leur exprimer sa reconnaissance, pourquoi ne pas aller vers eux, les rencontrer dans leur espace, en respectant leur dignité et leur rôle sacré ?
La scène observée n’est pas un incident isolé. Elle révèle une tendance plus large où la chefferie traditionnelle est de plus en plus instrumentalisée par les politiques. Nos chefs de canton, autrefois gardiens respectés de nos traditions et de notre culture, sont souvent réduits à de simples exécutants des volontés politiques, perdant ainsi leur indépendance et leur respect. Cette instrumentalisation est une insulte à notre patrimoine et à nos ancêtres, qui ont institué ces structures pour protéger et perpétuer nos valeurs.
Les prêtres traditionnels doivent connaître et revendiquer la place qui leur revient de droit dans notre société. Ils sont les garants de nos rites, de notre spiritualité, et méritent de recevoir le respect qui leur est dû. Il est impératif que nous, en tant que communauté, refusions ces dynamiques humiliantes et réaffirmions notre attachement à nos traditions.
L’ignorance ou l’indifférence face à cette dégradation n’est pas une option. Nos prêtres traditionnels ne doivent pas être vus comme des mendiants attendant les miettes du pouvoir, mais comme des figures centrales de notre culture, méritant honneur et révérence.
Le respect des prêtres traditionnels est un indicateur du respect que nous avons pour notre culture et nos traditions. Il est temps de mettre fin à ces pratiques dégradantes et de redonner à nos prêtres et chefs traditionnels la place et le respect qu’ils méritent. C’est à travers cette reconnaissance que nous pourrons véritablement préserver et valoriser notre héritage culturel.
Il convient de dénoncer cette situation, qui pourrait être prise comme un pas vers une société qui respecte et honore ses traditions, une société qui se tient fièrement sur les valeurs et les enseignements de ses ancêtres. Mais, il revient aux anciens de reconnaître leur place et d’y rester s’ils aspirent à un quelconque respect. « Le respect ne se mendie pas, il se gagne par les actes, » dit-on.
Robert Douti
Laabali