Veuve à un âge où d’autres construisent encore leur avenir, Mme Bernadette Nakolpouo a dû relever seule le défi d’élever ses enfants. Entre, obstacles, et humiliations, elle a reussi a se maintenir debout parfois dans un torrent de larmes. Aujourd’hui, grâce à son courage et à sa détermination, chacun d’entre eux a pû se faire une place au soleil. Dans cette interview touchante , elle a accepté partager avec Laabali, son parcours, ses sacrifices et les valeurs qui ont guidé sa vie.
Laabali : Madame, parlez-nous un peu de votre enfance et de votre famille avant votre mariage.
Je suis née à Pana. Mon père était garde du chef de Pana. Comme la plupart des filles de notre époque, j’ai conduit les bêtes avant d’être inscrite à l’école. Je m’en souviens encore. Un matin, alors que je devais amener les moutons au pâturage, un de mes oncles maternels est arrivé. Il a demandé à ma mère qui j’étais, et elle lui a dit que j’étais sa benjamine. Mon oncle a exigé qu’on m’envoie à l’école. Lorsque j’étais en classe de CP2, un de mes cousins, gendarme à Aného, ayant appris que je travaillais bien à l’école, est venu me chercher pour que je continue les classes auprès de lui. Malheureusement, sa femme s’y est opposée. J’ai donc abandonné les classes pour garder ses enfants.
Laabali : Comment avez-vous rencontré votre mari ?
J’ai été donnée en mariage dans la famille maternelle de mon oncle paternel. C’est mon cousin, auprès de qui je vivais, qui connaissait mon mari. Lorsque j’ai atteint l’âge de me marier, il l’a fait venir un jour et ils ont discuté. Je ne savais rien. C’est après son départ que mon cousin m’a dit que c’était l’homme que j’allais épouser. J’ai obéi. Je n’avais pas d’inquiétudes surtout que nous étions tous de Dapaong.
Laabali : Pouvez-vous nous décrire votre vie de couple avant son décès ?
J’ai eu un foyer paisible. Mon mari était cuisinier chez l’ancien ministre Martin Sankaredja. Je ne manquais de rien. Les seuls moments difficiles étaient lorsque je le soupçonnais d’entretenir des relations intimes avec d’autres femmes. À chaque fois, mes réactions étaient violentes. C’était la bagarre avec les filles (rires).
Laabali : Parlez-nous des circonstances du décès de votre époux.
(Soupire) Ce fut très difficile. Mon mari était l’unique garçon de son père et sa réussite avait suscité de la jalousie dans sa famille, ce qui serait à l’origine de sa mort. Nous étions rentrés à Dapaong pour saluer la famille et acheter une parcelle de terre pour construire notre maison. J’étais enceinte. Peu de temps après notre retour à Bassar, j’ai accouché de jumeaux dont l’un n’a pas survécu. La famille a exigé que nous rentrions au village pour les cérémonies. Je n’étais pas d’accord mais après les explications de mon mari, j’ai cédé. Nous avons fait les cérémonies traditionnelles et, au retour, mon mari est décédé.
Laabali : Comment avez-vous vécu la période juste après le décès de votre mari ?
(Soupire) Ce fut des moments douloureux. Après la mort de mon mari, mon père a demandé que je reste au village. Craignant pour la vie de mes enfants, j’ai refusé et nous nous sommes installés à Dapaong-ville en 1980. J’aidais les autres femmes dans leurs activités pour nourrir mes enfants. Certains me payaient, d’autres non. Si je réclamais, on me couvrait d’injures. Nous avons souvent dormi le ventre creux. Mes enfants allaient à l’école en buvant seulement de l’eau, et moi, je pleurais dans ma chambre. Mes proches ne voulaient pas m’aider. Une tante se cachait et disait à ses enfants de dire qu’elle n’était pas là quand je venais. Parfois, je cherchais juste des conseils et du réconfort. Je rends grâce à Dieu pour mes enfants, courageux et résilients.
Laabali : Quelles étaient les principales difficultés que vous avez rencontrées à cette époque ?
(Soupire) Tout était difficile : trouver un toit, de quoi manger, habiller et soigner mes enfants. Ils ont appris très tôt à se débrouiller pour me soutenir. J’ai essayé toutes sortes de travaux et eux aussi.
Laabali : Quels types de sacrifices avez-vous dû faire pour subvenir aux besoins de vos enfants ?
J’ai tout fait. J’ai vendu des galettes, du couscous, de la soupe de peaux de bœufs, etc. J’ai même dû vendre mes assiettes et mes pagnes pour subvenir aux besoins de mes enfants.
Laabali : Pouvez-vous nous partager des exemples de situations où vous avez ressenti des humiliations ?
(Long silence) Huuum, à un moment, j’avais des difficultés pour payer mon loyer. Le propriétaire est venu enlever la porte pour nous chasser. Je l’ai remplacée par un pagne. Un jour, sous la pluie, il est venu nous chasser. Nous sommes sortis avec mes enfants, nos effets sur la tête, sans savoir où aller. Une dame du quartier, en guise de compassion, m’a demandé si je ne pouvais pas me mettre à l’abri quelque part en attendant que la pluie cesse, ignorant que même après la pluie, je n’avais nulle part où aller.
Laabali : Avez-vous reçu du soutien de votre famille ou de votre communauté ? Si oui, comment cela s’est-il manifesté ?
Je reste reconnaissante à des gens hors de ma famille. À bout, je suis allée voir l’abbé Dominique Guigbile, l’actuel évêque du diocèse de Dapaong, qui m’a donné 5000 F. Ma marraine, la sœur Jacqueline, m’a aussi soutenue avec 3000 F. Avec cette somme, j’ai commencé à vendre de la soupe de pattes de bœufs. Un meunier du quartier, Abotchi, donnait les restes de farine à mes enfants qui l’aidaient dans son moulin.
Laabali : -Devant ces difficultés , vous est-il arrivé parfois l’idée de vous engager dans une nouvelle relation? Si oui, Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a poussé à faire ce choix et de ce que vous espériez trouver dans cette nouvelle union ?
Après la mort de mon mari, j’ai traversé une période extrêmement difficile, pleine de chagrin et de défis quotidiens. Pendant trois ans, j’ai essayé de trouver un équilibre et de reconstruire ma vie. Quand j’ai rencontré cet homme, j’ai vu en lui un potentiel partenaire capable de m’épauler et de m’apporter le soutien émotionnel et pratique dont j’avais tant besoin. J’espérais que cette nouvelle relation m’aiderait à surmonter mes difficultés et à retrouver un semblant de normalité.
Cependant, dès les premiers mois de notre mariage, il est devenu évident que mes attentes étaient loin de la réalité. Plutôt que de me soutenir, il ajoutait à mes soucis par son manque de compréhension et d’engagement. Au lieu d’être un compagnon et un allié, il est devenu une source supplémentaire de stress et de déception Cette expérience m’a appris l’importance de ne pas précipiter les choses et de bien comprendre les motivations et les capacités d’une personne avant de s’engager dans une nouvelle relation.
Néanmoins, de cette nouvelle union j’ai eu deux enfants ( un garçon et une fille) qui ont grandi en parfaite harmonie avec leurs aînés.
Je leur ai donné la même éducation et par la grâce de Dieu, tous se sont battus pour voler aujourd’hui de leurs propres ailes.
Laabali: Parmi toutes les difficultés que vous avez rencontrées dans votre nouveau mariage, qu’est-ce qui vous a le plus marqué négativement ?
Ce qui m’a le plus marqué négativement dans ce nouveau mariage a été la jalousie et les humiliations incessantes de ma coépouse. Lorsque j’ai eu mon premier enfant, un garçon, sa jalousie s’est exacerbée car elle n’avait que des filles, et en Afrique, avoir un garçon est souvent considéré comme très important. Elle saisissait chaque occasion pour m’humilier et me rabaisser.
Mais ce qui a été le plus douloureux, c’était de voir son influence sur mon mari. Elle le dominait à tel point qu’il refusait d’apporter toute assistance à nos enfants. Par exemple, quand mon fils devait aller à l’école, mon mari a refusé de fournir la pièce de naissance nécessaire à son inscription. J’ai dû aller jusqu’à le convoquer au tribunal pour obtenir ce document.
Cette situation m’a profondément blessée, non seulement à cause de l’humiliation personnelle, mais surtout parce que mes enfants en ont souffert. J’espérais trouver du soutien et de l’amour dans cette nouvelle union, mais je me suis retrouvée confrontée à une hostilité et une indifférence encore plus grandes.
Laabali : Comment avez-vous réussi à éduquer vos enfants malgré les difficultés ?
Seul Dieu était ma force. Malgré ma jeunesse, j’ai oublié que j’étais femme. Je me battais et, parfois, sans solutions, nous restions affamés. Jamais je n’ai pensé à me tourner vers un homme pour bénéficier de certaines largesses.
Laabali : Quels étaient vos espoirs et rêves pour vos enfants pendant cette période ?
Des rêves et des espoirs, j’en avais pour mes enfants. C’est la raison de toutes mes batailles.
Laabali : Aujourd’hui, vos enfants sont des cadres. Comment vous sentez-vous par rapport à leurs réussites ?
Je me sens comblée, fière de jouir du fruit de plusieurs années de souffrances et d’efforts.
Laabali : Comment vos enfants perçoivent-ils les sacrifices que vous avez faits pour eux ?
Ils en sont reconnaissants. Cette année, ils m’ont honorée en organisant mon soixante-quinzième anniversaire en grande pompe.
Laabali : Quelles sont les leçons les plus importantes que vous avez apprises à travers vos expériences ?
Ce fut une grande école. J’ai appris que dans la vie, il faut compter sur soi et sur Dieu, que le courage est la seule arme contre tout obstacle, et que tout peut arriver quand on a foi en soi. Enfin, j’ai appris que le succès se trouve dans l’effort.
Laabali : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes mères qui peuvent se trouver dans des situations similaires aujourd’hui ?
Je leur conseille d’être fortes et d’accepter ce qui leur arrive. Montrer à leurs enfants que malgré la douleur et la perte, il est possible de continuer à vivre et avancer. Prendre le temps de pleurer si nécessaire pour guérir, tout en restant optimistes. Encourager leurs enfants à poursuivre leurs passions. Ne jamais abandonner.
Laabali : Votre mot de fin.
Mon message est pour vous, jeunes couples. Acceptez-vous, aimez-vous et comprenez-vous. Évitez les mauvaises compagnies et restez ensemble pour élever vos enfants. Aux femmes, je recommande la patience. Il y a plein d’hommes dans la rue, mais peu à la maison. Gardez votre homme car beaucoup de femmes guettent votre moindre faux pas pour le prendre.
Interview réalisé par Robert Douti