« Je vous dirai que la pauvreté a fait que certains jeunes se laissent appâter par les groupes armés terroristes »(…).Pour la première fois, Néné Kombaté, homme politique, natif de la région des Savanes, délie la langue à Laabali.tg. La chefferie traditionnelle, la culture, les prochaines élections législatives et régionales, la promotion de la femme ….entre autres sujets abordés, dans cette interview exclusive. C’était à Lomé, le 10 avril 2023.
Laabali.tg : Doyen, aussi loin que vous êtes de Dapaong, quel souvenir d’enfance vous revient souvent, lorsque vous y pensez ?
Néné Kombaté : Ah, le bon vieux bon temps ! C’est passé. Je regrette beaucoup ce passé là. La vie était rose. Je vous parlerai par exemple des plaisirs que nous les jeunes avions à l’époque : la pêche, la chasse, la nage… Malheureusement aujourd’hui les marigots ont tari, il n’y a plus d’eau. C’est vraiment dommage, mais bon, ne revenons plus sur le passé, regardons l’avenir. Vous les jeunes, vous aussi, vous n’êtes pas mal logés. Vous avez tout ce qu’il vous faut. Seulement le problème, c’est comment en profiter pour en jouir.
Que voudrez-vous que la jeunesse de la région des Savanes, retienne de Vous, homme politique ou intellectuel de la région ?
Disons… intellectuel. Intellectuel parce que, des études, après l’obtention de mes diplômes, je suis passé par l’école Normale supérieure d’Auteuil (France) où on forme les inspecteurs français. De retour au pays, j’ai été représentant de la commission nationale togolaise pour l’UNESCO. Après on m’a récupéré dans l’éducation comme inspecteur de l’Education nationale puis affecté à Tsévié.
Je coordonnais Tsévié, Notsè, Tabligbo et Kévé. C’est à Tsévié que j’ai passé une bonne partie de ma carrière d’inspecteur. Après, je suis retourné à Lomé lors du regroupement des inspecteurs , et, c’est là que je me suis intéressé à la politique. Je me suis jeté dedans, mais, en définitive, je me suis dit qu’il ne fallait pas faire la politique politicienne comme tous les autres.
J’ai choisi ma ligne à part et, aujourd’hui , à 88 ans, je suis fier de ce que j’ai passé comme temps sur cette terre.
Aujourd’hui, quand vous regardez la région des Savanes, qu’est-ce qui vous fait plus mal, en terme de ce qui devrait être fait et qui n’est pas fait ?
Ah… Ça, c’est me mettre un peu dans l’embarras, mais je vais vous dire ce qu’il y a. Le gouvernement n’a pas tellement eu l’attention qu’il fallût pour cette région-là qui est productrice de tout. On aurait pu penser à la construire les routes.
Les Savanes, c’est une région riche en potentialités de toutes sortes. Des intellectuels, elle en regorge. Sur le plan économique, nous avons des terres pour exploiter comme nos grands-parents le faisaient dans le temps, sans mécanisation agricole.
Aujourd’hui nous avons plus de moyens pour le faire. Les Savanes c’est le poumon du Togo parce que l’élevage c’est nous, l’agriculture c’est encore nous. Aujourd’hui l’arachide, c’est une denrée rare dans les Savanes alors que nous étions le poumon, le grenier de production des arachides. Quand la période d’achat arrivait, les lieux où on achetait, on passait plus d’un mois à collecter l’arachide dans les points de vente. Malheureusement on a pas pu développer ce secteur.
La chefferie traditionnelle est liée à notre culture. Pourtant, elle a souvent été émaillée des violences. Qu’est-ce cela suscite chez vous comme réaction et comme proposition ?
Je suis écœuré de voir certains se disant des chefs traditionnels se livrer à des comportements qui les déshonorent. La chefferie traditionnelle est politisée. Autrefois c’était traditionnelle, et la succession se faisait de père en fils mais aujourd’hui c’est l’argent qui parle. Aujourd’hui pour devenir chef, même si tu n’es pas choisi par l’oracle, c’est l’argent qui parle. On achète ce titre et c’est dommage ! Ma proposition serait qu’on change la façon d’y accéder. Que cela se transmette de père en fils dans des milieux où les populations s’accordent. Mais si dans d’autres localités les populations ne s’entendent pas, on peut procéder à une consultation populaire, mais dans la transparence pour éviter des contestations qui donnent un coup à l’unité et la cohésion entre les populations.
Pourquoi, selon vous, la région des Savanes, à travers Kpendjal est en proie aux groupes extrémistes ?
Je vous dirai que la pauvreté a fait que certains jeunes se laissent appâter par les groupes armés terroristes mais je vous dis que c’est la France qui est à la base de tout. Lorsqu’elle nous dit qu’elle nous aide à combattre le terrorisme, c’est du leurre et je déplore l’attitude que les hommes politiques français, pas les français, mais les hommes politiques français adoptent vis à vis de l’Afrique. Ils continuent de croire qu’aujourd’hui encore c’est à eux de choisir ce qui est bon et bien pour les africains.
Comment voyiez-vous l’avenir de la région ?
L’avenir pour moi en tout cas, elle est prometteuse. La jeunesse est consciente de ses devoirs et je crois qu’elle pourra redresser la pente.
On dit souvent que les femmes de la région des Savanes souffrent plus que les hommes. Partagez-cette vision des choses ? Que faire ?
Je suis d’accord. Regardez par exemple le problème d’eau. Aujourd’hui, les femmes font les activités champêtres au même titre que les hommes, mais à cela viennent s’ajouter leurs activités ménagères. Les hommes se croient supérieurs et n’ont pas pitié des femmes. Il faut que les hommes des Savane changent de comportement et de mentalité. Nous devons avoir beaucoup plus de considération pour nos femmes.
Il est constaté dans notre région que les hommes s’adonnent à la vente des terres et à la consommation abusive de l’alcool abandonnant l’ensemble des charges du ménage aux femmes. Comment comprenez-vous cela ? Que faire ?
C’est d’abord la faute à ceux qui le font et ils le regretteront. Nos terres s’appauvrissent et il faut les enrichir afin qu’elles continuent par nous nourrir. Il faut éviter de les brader. Pour ce qui est de l’alcoolisme, ça se comprend. La faute n’est pas aux alcooliques seulement. Vous savez, quand le diable n’a rien à faire, il tue les mouches. Quand les gens n’ont plus rien à faire, que voulez-vous qu’ils fassent ? Ils ne peuvent que s’adonner à ce qui est plus simple à faire : boire. Pour résoudre ce problème, il faut les sensibiliser, mais surtout trouver le moyen d’occuper les jeunes en période de saison morte.
S’ouvrent bientôt les législatives et les régionales, que dites-vous aux jeunes et aux politiques ?
Moi, j’ai servi correctement et loyalement le président Eyadema qui avait ses défauts, mais aussi ses qualités parce que l’homme n’est pas un sain. À mon âge, si les politiciens viennent vers moi, je vais leur donner des conseils, des avis, des suggestions.
Les conseils ça ne s’achètent pas mais ça se méritent. Comme conseil aux politiques, que chacun tente sa chance, mais dans le respect de la loi. Pour ceux qui seront candidats, qu’il n’y ait pas de crocs en jambes. La morale en politique consiste à avoir sa ligne qui met au premier plan l’intérêt supérieur de la nation et le respect de la chose publique.
On dit que l’extrémisme violent dans le Kpendjal et son lot de crise humanitaire et déplacés internes, nécessiteraient qu’on y pense, au lieu d’aller aux élections législatives, dans la mesure ou plusieurs villages de Kpendjal sont vidés ? Qu’en dites-vous ?
Ça, il revient aux acteurs politiques de se concerter pour trouver un consensus. Faire une élection juste pour la faire, c’est inutile , mais s’il faut aller aux élections pour mettre à la tête des entités régionales des gens plus méritants, c’est bien. Mais faire une élection juste pour remplacer Kolani par Kombaté, c’est inutile.
Votre mot de fin
Quand on lance un caillou, chacun protège sa tête. Je voudrais que les fils de la région des savanes s’unissent, qu’ils s’entendent, afin d’amorcer son développement. Dans la région des Savanes, à part ceux qui sont venus de Gambaga, nous avons les mêmes coutumes, les mêmes habitudes culinaires. Nous sommes tous des frères.
Propos recueillis par
Robert Douti