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Choguel Maïga et le piège des militaires en politique

par Robert Douti - 2024-11-23 08:32:48 140 vue(s) 0 Comment(s)

« Quand le chien finit de chasser pour son maître, il n’est plus qu’un simple chien », enseigne une sagesse populaire du Noungou. Il n’y a pas que ce proverbe pour illustrer la situation actuelle au Mali, marquée par le limogeage de Choguel Kokala Maïga, hier porte-voix des militaires de Bamako. Son discours empreint d’accusations de trahison et d’un ton on ne peut plus acerbe, prononcé à l’occasion du premier anniversaire de la libération de Kidal, lève le voile sur la nature de l’étau dans lequel s’était retrouvé le natif de Tabango : d’un côté, les pressions exercées par les militaires ; de l’autre, l’opinion publique malienne.
« Le tigre » aurait-il pu faire autrement ? Répondre à cette question exige d’abord d’examiner les dynamiques politiques, les attentes populaires et les contraintes sécuritaires qui définissent le contexte malien actuel.

Le Mali traverse une crise multiforme qui s’est exacerbée depuis la chute du guide libyen. Elle est marquée par un affaiblissement de l’État, menacé à la fois par des forces centrifuges internes (groupes armés, sécessionnisme) et des ingérences extérieures. C’est dans ce contexte que les militaires se sont imposés comme des acteurs clés, s’érigeant en sauveurs de la nation à travers des discours nationalistes et anti-impérialistes séduisants. Choguel, dans sa quête de redonner au Mali sa souveraineté, s’est aligné du côté des militaires, espérant que ces derniers respecteraient les règles d’une transition véritablement démocratique. L’incompatibilité des ambitions des militaires avec cette perspective les a conduits à s’appuyer sur des figures comme Choguel pour asseoir leur pouvoir. Ce dernier n’a malheureusement pas vu le piège à temps.

Choguel pouvait-il s’opposer aux militaires ?

En soutenant les militaires, il espérait peser sur leurs décisions et garantir que la transition reste conforme aux attentes populaires. Cette stratégie, bien qu’elle ait permis d’éviter des tensions directes, l’a rendu vulnérable aux manipulations et a fini par le discréditer auprès d’une frange de ses alliés. Une opposition frontale aux militaires lui aurait sans doute coûté un isolement ou une éviction prématurée. Les militaires, forts de leur contrôle sur les institutions, n’auraient pas toléré une contestation interne quelle qu’elle soit. D’ailleurs, l’option de la rupture de la part de Choguel aurait dressé le lit des divisions au sein de l’exécutif, affaiblissant davantage l’État.

Aujourd’hui, les accusations portées par l’ex-Premier ministre contre ses alliés d’hier révèlent un sentiment de trahison mais aussi une certaine naïveté. Il semble n’avoir pas mesuré la capacité des militaires à instrumentaliser les civils pour leurs propres intérêts. Ce jeu politique laisse entrevoir sans ambiguïté que dans une transition dominée par les militaires, les civils sont souvent relégués à un rôle de figurants. Le cas de Maître Kyélem de Tambèla, Premier ministre burkinabè, en est une illustration. Ce dernier est devenu aphone et invisible au profit du président de la transition. Choguel ne s’était pas rendu compte à temps que les garanties données par Assimi Goïta et ses frères d’armes n’étaient rien d’autre que des promesses tactiques visant à légitimer le régime militaire.

Il a oublié qu’en politique, la naïveté coûte cher, car la loyauté dans les régimes autoritaires est rarement réciproque. Les exemples abondent.

Une leçon pour les civils en politique

L’expérience de Choguel interroge sur l’intrusion des militaires dans la vie politique. En effet, les hommes en uniforme ne devraient, en principe, intervenir en politique qu’en cas de situations exceptionnelles, avec une feuille de route précise et limitée dans le temps. Lorsque cette règle est ignorée, les ambitions personnelles et le poids des armes prennent le pas sur les principes démocratiques, comme on l’observe aujourd’hui dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), en Guinée Conakry, au Tchad ou encore au Gabon.

Pour les civils, collaborer avec des militaires en quête de pouvoir prolongé revient à jouer à un jeu dangereux. Cela peut conduire à la perte de crédibilité et à obscurcir l’avenir politique.

Le prix du manque de courage politique

Bien que disposant de peu de marges de manœuvre, Choguel Maïga aurait pu anticiper les ambitions des militaires et garder une distance critique, tout en soutenant les actions bénéfiques à court terme. Il aurait été sans doute plus utile aux Maliens en s’alignant sur les aspirations populaires pour exiger des garanties claires sur le retour à l’ordre constitutionnel.

Au lieu d’attendre d’être débarqué, il aurait dû préserver sa dignité en démissionnant avant de porter des critiques sur la transition. Mais il convient de souligner que ces choix auraient impliqué un courage politique et une prise de risques importants. Dans un contexte dominé par la pression des militaires et l’attente rapide de résultats par les populations, toute critique devenait dangereuse.

La situation qui prévaut actuellement au Mali lève le voile sur les défis des transitions politiques à dominance militaire : l’érosion de la confiance, la marginalisation des civils et le recul de l’État de droit. Elle invite à une réflexion profonde sur la nécessité de limiter l’ingérence des militaires dans la vie politique des nations. La CEDEAO, à qui cette mission avait été confiée, n’a malheureusement pas pu l’accomplir.

Robert Douti

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