Ce sont des jeunes enfants. Ils sont connus comme étant des orphelins aux parents toujours en vie. Ces enfants, très souvent, victimes innocentes de la séparation de leurs géniteurs. Dans la région des Savanes qui allie désormais pauvreté et insécurité, le phénomène des enfants pris en charge par des grand-mères, prend de l’ampleur.
Ce n’est pas un fait ordinaire. Un garçon d’environ 7 ans qui donne des coups de poings à sa grand-mère en plein marché. La scène se passe à Kantindi. Nous sommes, à l’extrême nord du Togo ; région des Savanes, préfecture de Tone. La victime Nounguine Bomboma est venue vendre des cordes tissées, accompagnée de Dakonyème son petit-fils. »Je lui ai dit que l’argent issu de la vente des cordes servira à acheter des condiments et du savon. Il n’en reste même pas pour que je m’achète un peu de Colas, mais il ne veut pas comprendre. Il veut que je lui achète un jouet » se complaint la sexagénaire.
En effet, le supplice de Nounguine dure quatre ans déjà. Depuis que la mère de Dakonyème s’est remariée, et l’a abandonné à sa grand-mère, le père ne fait aucun geste. Le garçon aux comportements peu enviables a déserté les bancs au cours préparatoires après une affaire de vol de téléphone portable. Et depuis, il ne se passe presque pas une seule journée sans que la vieille ne soit interpellée pour des actes posés par Dankoyème. « J’en ai assez » a-t-elle fini par lâcher.
L’histoire de Dakonyéme ressemble celle de beaucoup d’enfants de cette région qui se sont vus abandonnés à leurs grands-mères. Des exemples, on en trouve presque dans toutes les localités de la région des savanes.
Sinongou Kolani, habite le quartier Nassablé à Dapaong. Depuis quelques semaines, elle était à la recherche d’une bonne volonté pour l’aider à établir un jugement supplétif pour Akoua, sa petite fille. Au cours moyen deuxième année, elle risque de rater son examen de certificat de fin d’étude du premier cycle (CEPD). » Je me bats pour leur trouver de quoi manger. Comment me serait-il possible de trouver cette somme pour lui faire sa pièce de naissance ? » s’interroge-t-elle. Née au Ghana, elle rentre au Togo à sept ans avec sa mère et ses deux petits frères. » Personne n’a les nouvelles de leur père depuis que les enfants sont avec moi. Leur mère qui est au Burkina Faso n’a elle non plus fait signe de vie depuis huit mois. Avec la situation qui prévaut dans ce pays, j’espère qu’elle est vivante. » Ainsi confie-t-elle lorsque nous avons voulu comprendre ce qui se passe.
En réalité, poursuit-elle, ma fille a rencontré son homme ici à Dapaong, il était cordonnier. Quelques mois après leur mariage, ils ont rejoint le Ghana. Et depuis, plus aucune nouvelle. C’est huit ans plus tard qu’elle est revenue avec trois enfants. Dieudonné, le plus petit était âgé seulement de quelques mois(.. ). Aujourd’hui la jeune dame depuis 7 ans serait partie se chercher au Burkina Faso et c’est la grand-mère qui doit prendre soins des enfants en vendant de la Cola.
Des cas pareils, on en croise à profusion dans la région. À Tantoga, à une vingtaine de kilomètres à l’Est de Dapaong, Tani Kombaté, 13 ans, vit avec sa grand-mère maternelle. Sa mère est tombée enceinte sur les bancs du secondaire. Elle est restée auprès de ses parents jusqu’à l’accouchement. Aujourd’hui, elle vit en côte d’ivoire après s’est remarié à un autre homme quand Tani n’avait que trois ans. Sa grand-mère explique qu’elle ne peut pas rendre sa petite fille à ses parents en l’absence de sa mère. Elle ajoute avec humour » Bientôt elle sera une femme et je peux manger le cola pour compenser ma souffrance ».
Très peu parmi ces enfants de grand-mère ont la chance d’être entourés de soins. Majeed est l’une des rares exceptions. À onze ans, il est au cours moyen deuxième année et n’a jamais vu son père. » Mon père m’a abandonné, je vis chez ma grand-mère. Ma mère est à cinkassé et vend dans une boutique. Elle revient de temps en temps me voir » confie le garçonnnet. La grand-mère de Majeed est une brasseuse de boisson locale. Avec ses revenus, elle entoure son petit-fils de soins. » Dieu ne m’a pas donné de garçon. Je considère Majeed comme mon propre fils et je ferai tout pour qu’il ne manque de rien » rassure-t-elle.
*Un phénomène aux causes multiples et diversifiées*
Le phénomène des enfants vivant avec leurs grands-mères tend à devenir un véritable fléau qui semble pourtant passer sous silence. Les causes sont multiples comme le révèle Abiba Nahm, responsable de Zone du service de l’action sociale à Korbongou, admise à la retraite. » Dans la plupart des cas, ce sont des enfants issus des grossesses indésirées. Les parents ne s’étant pas mariés, les enfants sont laissés à la charge des grands- parents quand la maman se marie. Le second cas concerne les enfants issus des couples divorcés. Les femmes rejoignent leurs parents avec les enfants sous les bras et peu de temps après, elles s’en vont pour une autre aventure. La troisième catégorie concerne les enfants nés hors de la région ou du pays. Ils sont souvent envoyés auprès des grands- parents pour être inscrits à l’école. » Ces exemples sont loin d’être exhaustifs. Des cas de décès de la mère biologique par exemple ne sont pas à ignorer. D’autres sources révèlent cependant que, parfois, ce sont les hommes qui après avoir divorcé prennent les enfants de force pour les confier à la grand-mère maternelle. Une version que confirme à Tandjoare, un fonctionnaire du service de l’action sociale qui a requis l’anonymat: » Un jour j’ai reçu une dame venue se plaindre parce que sa fille de trois ans lui avait été retiré par son ex-époux. Lorsque j’ai invité l’homme, il est arrivé seul et quand je lui ai exigé d’amener l’enfant, c’est sa grand-mère paternelle qui est arrivé avec elle. L’enfant a été retourné à sa mère. Un jour, lorsque j’ai rencontré la grand-mère, elle m’a remercié de lui avoir délivré d’un fardeau. Elle a avoué avoir gardé sa petite fille, contraint par son fils. »
*Un avenir incertain*
Généralement, grandir sous les bras de grands-mères représente un grand risque pour l’avenir des enfants. Ce genre d’enfants sont facilement victime de malnutrition et d’anémie. » Cela s’explique par le fait que la grand-mère faute de moyen donne à manger tout ce qu’elle trouve sans tenir forcément compte des besoins de l’enfant. À cela s’ajoute, le manque d’hygiène et de surveillance qui expose l’enfant à tous les risques » explique Badjalla Koubagla de la division de la protection de l’enfance et de la prise en charge à la Direction régionale de l’action sociale des savanes, aujourd’hui à la retraite.
Outre les risques liés à la santé, il se révèle que bon nombre de ces enfants présentent des troubles de comportements. » Ils peuvent être agressifs, égocentriques ou timides, à cause du manque d’affection parentale ou être incapables, même une fois adultes de prendre des initiatives du fait de la surprotection dont ils ont bénéficié de la part de grand-mère » ajoute monsieur Koubagla . Outre les troubles de comportement, bon nombre de ces enfants peinent à réussir à l’école faute d’encadrement. » Ce sont des élèves qui manquent de tout : matériel de travail tenue scolaires, acte naissance, etc. Et parfois quand tu cherches à rencontrer les parents, c’est peine perdue » explique Moustapha, un directeur d’école.
L’idéal pour chaque enfant est de grandir au moins sous la protection de l’un des parents sauf cas de force majeure. Comme le stipule le nouveau code de l’enfant qui dispose en son article 109 que les parents ont toujours l’obligation d’entretien, d’éducation de leur enfant et sont tenus d’y contribuer en proportion de leurs revenus en cas de séparation. El Hadj Amidou Moussa, Imam de la grande mosquée de la douane de Mango déplore le fait que les enfants soient abandonnés aux grandes mamans. » C’est contraire aux prescriptions de l’islam. Des fois, les filles ne sont pas mariées pour qu’on puisse parler de divorce. Elles vivent en concubinage, elles font un ou deux enfants, on les laisse à la grand-mère et elles continuent. Une maman a l’obligation de s’occuper de ses enfants. Si ce rôle est confié à la grand-mère, c’est que l’avenir de l’enfant est d’avance hypothéqué. Cette situation est beaucoup due aujourd’hui à la séparation des jeunes couples qui est à la mode surtout ici à Mango. En 2023, j’ai célébré trente-cinq mariage, mais après trois mois, à peine quinze ont survécu » confie-t-il.
Robert Douti
Laabali