À 55 ans, elle est la première femme à diriger un quartier dans une région où la chefferie traditionnelle reste la chasse gardée des hommes depuis la nuit des temps. Commerçante de céréales de son état, et mère de huit enfants, elle ne saura s’opposer au chemin tracé par son destin. Depuis huit ans, elle a abandonné les bols et les sacs pour se mettre au service de sa communauté, mais pas sans difficultés. Dans un entretien exclusif, Malpo Konlantchian cheffe du quartier Dabaog, dans la banlieue sud de la ville de Dapaong s’est confiée à Laabali .
Laabali: Comment êtes-vous devenue cheffe de quartier?
Malpo Konlantchian :(sourire), Ce fût une grande surprise. je ne l’ai pas été par élection puisque je n’ ai jamais eu le désir d’assumer cette tâche. J’étais commerçante de céréales. Un soir, je suis rentrée du marché et mon mari m’a informé que le chef du canton de Dapaong m’a envoyé une invitation pour le lendemain. Surprise, je me suis interrogée pourquoi une telle invitation alors que je n’avais pas de différend avec quelqu’un. J’ai passé toute ma nuit à réflechir. Le lendemain, j’ai répondu à l’invitation. Arrivée, nous étions cinq femmes à être invitées. Lorsque nous avons été reçues, le chef nous a expliqué qu’il souhaitait avoir une femme pour diriger le quartier Dabaog . Puis, il nous a demandé d’aller nous concerter et lui ramener un nom. Nous nous sommes retirées et après concertations, le choix est tombé sur moi malgré mon refus. J’avoue que j’étais très inquiète.
Laabali: Pourquoi étiez-vous inquiètes ?
Malpo Konlantchian: Je devrais être inquiète primo, parce que je suis analphabète. Secundo, je n’avais jamais vu une femme occuper ce poste et je me posais des questions sur ce qui m’attendais.
Laabali: Quelle a été la réaction de votre époux lorsque vous lui avez apporté la nouvelle ?
Malpo Konlantchian: Lorsque mes camarades m’ont proposé, Je n’ai pas caché mes inquiétudes au chef. Il m’a encouragé d’accepter car il me trouvait capable d’occuper le poste . Je lui ai demandé de me donner du temps pour réfléchir et surtout avoir l’avis de mon mari. Quand je suis revenue à la maison, je lui ai informé, en lui précisant que je n’avais vraiment pas envie d’assumer cette responsabilité. Mon mari m’a encouragé d’accepter et m’a fait le voeux de rester à mes côtés pour m’aider à surmonter d’éventuelles difficultés.
Laabali: Votre époux a t-il vraiment honoré son engagement de t’accompagner?
Malpo Konlantchian: Evidemment, son soutien ne m’a jamais fait défaut quand il est disponible. Au début, il était encore en fonction mais depuis qu’il est admis à la retraite, il est toujours là et assiste aux réunion que je convoque. Lorsque je suis invitée à une rencontre, il m’accompagne à chaque fois.
Laabali: Quelles difficultés éprouves-tu en tant que femme dans tes fonctions?
Malpo Konlantchian : Il n y a pas de responsabilités sans difficultés, encore lorsqu’il s’agit d’une femme. Tu viens d’être témoins de l’une d’entre elles: voilà des femmes qui n’ont pas assisté à la réunion que j’ai convoquée de ce matin mais qui viennent exiger qu’on mette leurs noms sur la liste de présence. Malgré toutes les explications fournies, elles refusent de comprendre et se mettent à gronder. Elles pensent qu’il y aura des sous à partager après. C’est notre quotidien.
Nous sommes parfois sujettes à des critiques de toutes sortes mais quand tu occupes un poste de responsabilité, tu deviens une poubelle.
Laabali: Arrivez-vous à concilier les protagonistes en cas de conflits qui se transportent chez vous?
Malpo Konlantchian: Nous le faisons sans difficultés majeures. Lorsqu’une plainte arrive, j’invite les autres sages du quartier qui m’assistent et souvent nous trouvons un terrain d’entente.
Laabali: Quelle est le conflit le plus difficile que tu as affronté depuis que tu es chef de quartier ?*
Malpo Konlantchian : (Soupire): Ce fût un conflit foncier. Un jour, j’ai reçu la plainte d’un jeune qui est venu convoquer son père pour une affaire de mauvais partage des terres. Malgré la volonté dont nous avons fait montre, la conciliation n’a pas été possible. Ils se sont transportés au tribunal.
Laabali : Comment conciliez-vous votre activité de commerçante et de cheffe de quartier ?
Malpo Konlantchian : Franchement, c’est difficile . Aujourdhui, je ne peux plus aller de marchés en marchés. Pourtant, c’est ce que je faisais pour subvenir à mes besoins et apporter ma part de contribution pour les charges du ménages Malheureusement aujourd’hui, je suis bien obligée de rester sur place . Le plus dur c’est qu’un chef de quartier ou de village n’a pas d’indemnités. J’ai sacrifié mon commerce pour me mettre au service de ma communauté. J’ai perdu mais ma communauté en a bénéficié.
Laabali: Choisir une femme cheffe de quartier, de village ou de canton n’est-il pas une entorse aux coutumes en pays moba?
Malpo Konlantchian : La place de la femme dans les cours royales en pays moba ne date pas d’aujourd’hui. Dans le passé, il y avait toujours dans les palais une femme chargée de la résolution des problèmes entre femmes. Lorsqu’un conflits entre femmes survenait, la tâche lui était confiée. Elle se chargeait de faire des propositions au chef en vue de solutionner le différend. Aujourd’hui, faire d’une femme cheffe de canton, de village ou de quartier c’est juste mettre en lumière le rôle que les femmes ont toujours joué dans l’ombre au sein du palais.
Laabali: votre mot de fin
Malpo Konlantchian : À toutes mes soeurs , je voudrais leur dire d’oser. Si vous vous sentez appelées à diriger, il faut vous lancer. Parfois, du dehors, nous pensons que la charge est lourde mais en réalité, ça ne nous dépasse pas. Il faut juste mettre de la volonté. Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’avez offerte pour m’exprimer. J’adresse aussi mes remerciement à sa majesté Yarbondja Yentchabré, chef canton de Dapaong pour la confiance qu’il a eu en moi pour me confier cette tâche que j’assume avec fièrté.
Interview réalisée par Robert Douti
Laabali