Alors que le Togo est ciblé par des groupes extrémistes depuis 21 mois et que la situation humanitaire continue de sévir dans la région des Savanes, Pr David Ekué Dosseh porte-parole du Front Citoyen Togo-Debout (OSC) rompt le silence, dans cette interview exclusive. Il aborde entre autres la situation nationale dans son ensemble. C’était le 21 janvier 2023, à lomé.
Ancien n°1 du syndicat des praticiens Hospitaliers du Togo(Synphot), il est également le coordinateur des Universités Sociales du Togo (UST) et du mouvement Tournons La Page (TLP) au Togo.
Laabali.com :Dîtes-nous, professeur, est ce que le Front Citoyen Togo Debout – FCTD est debout?
David Dosseh : Le Front Citoyen Togo Debout est résolument debout. Je suppose que si vous posez la question c’est parce que depuis un certain on a plus véritablement vu le front en action sur le terrain au Togo. Mais je crois que cela part d’une stratégie véritablement assumée. Nous avons au terme des années 2017, 2018 et 2019 réfléchit et fait une analyse et nous avons estimés que pour faire cette lutte et aller jusqu’à son aboutissement, il était important que le front aille chercher des soutiens ailleurs en dehors du Togo. Cela signifie tout simplement que le front avait fait le choix de renforcer son positionnement sur le plan africain. Et donc vous l’avez certainement constaté, depuis juillet 2021, nous avons posé un certain nombre d’actes mais en dehors du Togo. Nous étions à Cotonou en juillet avec d’autres organisations de la société civile dont Tournons La Page – TLP. Et cela nous a permis de commencer déjà par avoir un positionnement au plan panafricain. Ensuite nous étions également au Botswana en 2022 où nous avons également, avec d’autres organisations dont le NDI, commencé par positionner davantage le Front Citoyen Togo Debout au plan Panafricain. Le troisième acte a été le lancement officiel de la Campagne pour la limitation du nombre de mandats présidentiels. C’était à Dakar en septembre 2022. Je crois que pour ce qui était de notre objectif de repositionner le front notamment au plan Panafricain, nous pensons que nous avons fait le minimum. Maintenant, la lutte ne se limite pas à aller poser des actes concrets dans d’autres pays, il faut pouvoir revenir au Togo, continuer à œuvrer pour la mobilisation des citoyens. Nous sommes de nouveau prêts à investir le terrain aussi bien à Lomé qu’à l’intérieur et j’espère que dans les prochaines semaines vous verrez de nouveau le Front Citoyen Togo Debout dans ses actions afin d’œuvrer même pour la réunification des forces qui ne sont pas de la société civile. Nous voulons parler des forces politiques. C’est une promesse que nous faisons à l’endroit de la société Togolaise. Nous sommes de retour sur le terrain. Nous allons aider le peuple Togolais dans sa lutte pour la libération.
Notre pays est en proie aux incursions terroristes depuis bientôt deux ans. Quelle analyse faîtes-vous de la situation?
Je crois que le Togo n’est pas un pays différent des autres pays qui font face à cette menace terroriste et toutes les analyses nous confortent dans l’idée que la dimension militaire ne suffit pas pour contrer cette menace. Il faut vraiment qu’à côté de la dimension militaire qui nous paraît primordiale, il faut également privilégier surtout le développement, faire en sorte que dans tous ces pays qu’on puisse mettre l’accent sur l’éducation des populations, faire en sorte qu’il y ait beaucoup plus de justice sociale. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont de grands analystes politiques qui le disent. Après avoir étudié l’évolution du terrorisme dans le Sahel et dans la plupart des pays où sévit ce fléau, tout le monde insiste sur une prise en charge holistique de la riposte afin de mettre fin à cette menace terroriste.
Pour en revenir au Togo, je crois que cela nous concerne également. À un moment donné j’ai eu le sentiment que le pouvoir voulait faire un appel à l’union sacré pour faire face au terrorisme, je crois que c’est une bonne chose. Mais si on veut appeler vraiment à l’union sacrée, il faut également mettre en place une vraie politique inclusive. Le pouvoir doit faire en sorte qu’il y ait moins de frustrations sur les plans politiques et économiques. Vous ne pouvez pas d’une certaine manière mettre les autres de côté, les mettre en marge de la société et dans le même tant leur solliciter pour présenter un front unique face au terrorisme. De la même manière que l’on sollicite l’ensemble des citoyens dans le combat contre le terrorisme, il faut également démontrer à l’ensemble des citoyens qu’on est ouvert, qu’on est pour la démocratie et pour la vraie justice .
Pensez-vous, Professeur, que tous les Togolais se sentent préoccupés par la crise sécuritaire au Nord-Togo ?
Je crois que non. Et ça rejoint un peu ce que je venais de dire. Pour vraiment se sentir concerné par ce qui est en train de se passer au Nord -Togo avec notre armée qui est en train de faire face à une situation que je pense difficile, il faut que d’abord le gouvernement fasse preuve d’un peu plus de transparence, j’ai failli dire de sincérité par rapport à ce qui se passe réellement au Nord afin que nous qui sommes citoyens puissions comprendre la nécessité de nous impliquer davantage, que ce soit en terme informatif, ça peut même être en terme financier à un moment donné si c’est nécessaire pour soutenir les populations déplacées ou même s’il le faut contribuer pour que notre armée puisse disposer d’équipements supérieur à ceux des terroristes. Je crois que ce sont des éléments importants. L’autre chose c’est que le gouvernement doit prendre la bonne mesure de la situation et se dire qu’à partir de maintenant, il faut une vraie politique inclusive afin que tous les citoyens se sentent interpellés et concernés par les enjeux nationaux.
Quel rôle peuvent jouer les organisations de la société civile dans la lutte contre le terrorisme ?
La société civile doit jouer un rôle primordial mais encore faut-il qu’elle ait cette possibilité. Vous avez souvenance que le Front Citoyen Togo Debout a voulu organiser un meeting en décembre 2022 justement par rapport à cette situation. Malheureusement, c’est la Préfecture qui s’est opposée à la tenue de ce meeting. Vous l’avez dit, c’est une question d’intérêt national et il est important que la société civile joue un rôle pour apporter l’information aux populations afin qu’elles aient les bonnes attitudes pour aider l’armée à lutter contre ce fléau. Mais si cette société civile doit faire face déjà à des contraintes multiples de la part des autorités publiques, vous comprenez qu’il lui sera difficile de jouer son rôle.
Plus d’une vingtaine d’attaques et très souvent avec le même mode opératoire : l’usage des engins explosifs improvisés EID. Pensez-vous que nos FDS devraient changer de tactique dans la traque des groupes armés terroristes ?
Moi je ne suis pas militaire. Donc, il est difficile que je puisse répondre à cette question mais ce que je peux dire, c’est qu’au delà de la démarche des FDS qui, je suppose, est une démarche martiale frontale militaire face aux terroristes, il y’a d’autres éléments qui peuvent jouer. La police peut faire jouer ses éléments en termes d’investigations parce que, je crois qu’elle est beaucoup plus outillée pour cela et même nous les citoyens nous avons la possibilité d’apporter des informations parce que lorsqu’on écoute les analyses qui sont faites par rapport à d’autres pays, on finit par comprendre que dans les communautés, les gens peuvent savoir qui est terroriste. Les citoyens se connaissent et donc je suppose qu’il en est de même pour notre pays où les gens peuvent aider à identifier ceux qui appartiendraient à ces groupes terroristes. Je pense que l’armée est en train de jouer son rôle et je ne me permettrais pas d’y apporter une appréciation parce que ce n’est pas mon domaine mais il y’a certainement d’autres éléments qu’on pourrait faire intervenir. Au delà de la réponse à court terme, je pense que la question des frustrations sociales, la question des injustices sociales et économiques, les questions du développement, de l’éducation, de l’information sont des éléments qu’il faut prendre en compte. Aujourd’hui, avec ce qui se passe, on a le sentiment que l’autorité publique ne veut pas communiquer sur cette question mais je vous assure que toutes les rumeurs que nous entendons dépassent largement le niveau de communication qu’aurait pu nous produire l’autorité publique. Des rumeurs circulent tous les jours où on nous dit que l’armée éprouverait des difficultés, qu’il y aurait des désertions. On ne saurait distinguer le vrai et le faux. Il faut peut-être que l’Etat sorte de cette stratégie de non communication tout en prenant le soin de ne pas nuire à l’armée. Mais, il serait important que nous puissions savoir ce qui est en train de se passer car en tant qu’organisation de la société civile, si nous pouvons apporter une contribution, je vous garantie que nous l’apporterons parce que si notre armée est en déroute, c’est nous, populations Togolaises, qui seront en difficultés.
Pensez-vous que l’attitude actuelle du gouvernement sur le plan de la communication pourrait être contre productive ?
Je crois qu’elle est contre productive parce que comme je vous le disais, le fait qu’il n’y ait pas de communication officielle n’empêche pas à l’information de circuler. Ça peut être de la mauvaise information, ça peut être de la désinformation, ça peut être même de la Manipulation. Moi en tant que citoyen, tous les jours qui passent, j’ai des informations sur la situation qui prévaut au front. Est-ce qu’elles sont vraies ? Est-ce qu’elles sont fausses ? Mais toujours est-il que ce sont des informations qui ne rassurent pas et nous nous avons besoin d’entendre des sons de cloches différents pour faire une bonne analyse.
Nous avons remarqué une indifférence presque totale des Togolais à l’endroit des populations déplacées internes à part quelques actions individuelles des fils de la Savane alors que la situation humanitaire est préoccupante. Comment cela peut-il s’expliquer?
C’est extrêmement grave. Et de mon point de vue cela est lié à ce silence des autorités que nous évoquions tout à l’heure mais surtout également à cette entrave qui est faite à la société civile qui cherche à s’exprimer. Je vais donner deux exemples. Le premier exemple c’est que nous avons voulu communiquer à travers un meeting sur cette question mais nous n’avons pas eu d’autorisation. Pourtant dans la lettre que nous avons envoyé au ministre de l’administration territoriale, nous avons dit clairement que pour le Front Citoyen Togo Debout, il était important que les citoyens puissent se retrouver autour de cette question éminemment importante et qu’on puisse en discuter au cours du meeting et s’interroger sur des actions à poser à l’endroit des familles des victimes de même que des déplacés. Cela nous avait été refusé.
Le deuxième exemple, nous avons discuté avec des gens qui sont dans la région pour leur dire qu’au niveau du Front Citoyen Togo Debout, nous sommes en train de faire une mobilisation de fonds en vue de soutenir les populations.
Nos interlocuteurs nous ont fait comprendre que nous avions de fortes chances qu’au niveau de l’autorité, il y ait des rétiscences à permettre au front d’exprimer sa solidarité à l’endroit des populations de cette partie de notre territoire. Voilà autant d’éléments qui semblent vouloir dire que même si nous sommes tous des Togolais, l’autorité considère certains Togolais comme étant de seconde zone ou n’étant des Togolais à part entière et ceux là n’ont pas droit à la parole, ceux là n’ont même pas cette occasion de pouvoir apporter en terme de solidarité leur soutien aux populations déplacées. J’espère que cette interview va permettre d’ouvrir les oreilles et les cœurs pour que tout le monde comprenne que nous sommes tous Togolais et que face à une telle adversité, nous sommes tous frères même s’il y a des divergences sur les plans idéologique et politique. Si aujourd’hui il y a des populations en difficulté au Nord du Togo, nous qui sommes du Front Citoyen Togo Debout, nous sommes des Togolais à part entière et si nous voulons aider ces populations, qu’on nous permette de le faire simplement, nonobstant les questions politiques et idéologiques qu’on nous permette d’apporter en terme de solidarité notre soutien á ces populations.
Une conférence des parlementaires sur la lutte contre le terrorisme s’est tenue la semaine dernière à Lomé. Pensez-vous que les recommandations de cette rencontre peuvent vraiment servir à nos États?
J’avoue que j’ai suivi de très loin cette rencontre qui a eu lieu à l’hôtel du 2 Février. Je n’ai pas vraiment eu vent des recommandations qui ont été retenues mais j’espère en tout cas que de bonnes résolutions ont été prises et j’insiste sur le fait que la réponse au terrorisme doit être holistique. Si elle ne doit être que le tout militaire, le tout sécuritaire nous courrons droit vers l’échec. Il faut que nos gouvernants comprennent la nécessité aujourd’hui de réduire les écarts en terme d’injustices sociales dans nos pays et de faire en sorte que les populations soient mieux éduquées. Une fois que les gens seront mieux éduquées et mieux à même de comprendre les vrais enjeux liés au terrorisme, ce sera le début de la fin parce que ce sont nos concitoyens qui grossissent les rangs des terroristes. J’espère que les recommandations vont permettre aux armées d’être mieux outillées pour répondre à la menace mais aussi permettre d’agir de façon globale sur le développement.
Laabali.com: Professeur, votre mot de fin.
Mon mot de fin c’est que j’espère en tout cas que la vision du gouvernement doit permettre à partir de cette question liée à la menace terroriste de mettre davantage en œuvre au Togo une vraie politique inclusive qui permettra de réduire la fracture sociale et renforcer l’unité nationale.
Biographie…
Professeur agrégé en chirurgie viscérale, David Ekué Dosseh est premier porte parole du Front Citoyen Togo Debout. Ancien numéro1 du syndicat des praticiens Hospitaliers du Togo(Synphot), il est également le coordinateur des Universités Sociales du Togo (UST) et du mouvement Tournons La Page (TLP) au Togo.
Interview réalisée à Lomé par Bernard Bandéguini