Dans la région des savanes, la poterie est une pratique ancienne en pays Moba/ Gourma. Plus qu’un métier , c’est un art qui s’allie à la tradition et qui tente de trouver sa place dans la modernité. Pratiqué depuis la nuit des temps, ce métier exclusivement réservé à la gente féminine se transmet de mère en fille à travers les générations, genre une recette de vielle mère qui se communique entre enfants et mamans. Même si de nos jours, elles sont de moins en moins sollicitées, les potières gardent toujours leurs places dans la société, car elles sont loin d'être de simples artisans. Reportage.
Village de Toumangue commune de tône3, 19 Octobre 2022. Les premières brises d’air de l’harmattan frappent déjà la région en ce dernier trimestre de l’année. Des tiges de récoltes de la dernière saison sont encore visibles. Du long d’une rue non encore bitumée, des femmes marchent en groupe, foulards sur la tête. Non loin d’elles, des ustensiles en argiles Des œuvres d’art qui attirent le regard, de tout passager curieux. Des femmes qui s’avancent et se concertent. L’une d’entre elles, nous sourit et pointe son doigt vers ces ustensiles en argiles. C’est la dame Naldjoume épouse Kombaté, potière à Toumangue dans le canton de Nyoukourma. Comme elle, les dames sont nombreuses à vivre de cette activité.
Un savoir gardé secrètement….
À l’origine, il est formellement interdit à la femme enceinte ainsi qu'à son mari d'avoir accès à la case de la potière; C’est ce qu’on apprend de l’une d’elles. Les raisons ne nous ont pas été révélées. Mais, la vieille nous a laissé entendre que c'est interdit tout simplement. Il semblerait que les poteries renferment pour certaines une âme et détruire sciemment certaines d'entre elles, exposerait les auteurs à un danger et même à la mort si des cérémonies ne sont pas faites. Une forme de superstition qui a la peau dure.
Pour ces habituées de l’art de la poterie, les jarres et les passoires en argiles sont une illustration d’un savoir-faire qui date des époques anciennes et qui respectent les règles coutumières . On raconte que " Lorsque vous cassez sciemment une jarre par exemple, il vous faut faire la même cérémonie que celui qui a commis un meurtre. En plus, il n'est pas autorisé à n'importe quelle potière de fabriquer une passoire (sorte de canari parsemé de trous, utilisé dans le processus de transformation des grains de néré ou de soja en moutarde)». Une forme de règle non écrite qui oblige les pratiquantes de la poterie à observer des édits des herméneutiques.
Ici à Toumangue, comme ailleurs dans les villages voisins , les règles sont similaires. « Nous savons le faire mais nous nous abstenons de le faire à cause de la curiosité des enfants, car il leur est interdit de voir surtout l'étape de mixage . Cela les expose à des maladies et vu que les enfants d'aujourd'hui sont trop curieux , il faut vraiment prendre garde" explique dame Nadjoulme. Pour elle, il s’agit de cacher une partie de l’étape de la fabrication aux mineurs.
Un art réservé aux femmes….
En majorité , ce sont les femmes qui les transportent, mais aussi les vendent. Même si le métier reste exclusivement féminin, les jeunes femmes ne sont pas autorisées à fabriquer certains ustensiles. L'étape de la cuisson reste un autre mystère. « Ce n'est pas n'importe quel jour qui est choisi pour cuire les poteries. Il faut préalablement consulter l'oracle, c'est lui qui choisit le jour indiqué. Parfois, il exige certaines cérémonies afin de prévenir la destruction des poteries une fois mises dans le four" nous a confié une autre potière.
Très sollicités dans les cérémonies et rites traditionnelles ( funérailles, mariages, fêtes traditionnelles, tradi-thérapie, etc), les objets et ustensiles en argile cuite sont quasi indispensables au quotidien mais les potières se heurtent de nos jours à bien de difficultés. De la recherche des matières première en passant par le transport, et la cuisson, chaque étape a son lot de dépenses.
Et à l'arrivée les recettes sont maigres. " Après la vente, nous faisons la situation des dépenses et s'il reste quelque chose, on s'en sert pour nos petits besoin" nous a confié dame Naldjoume. Malgré les difficultés, les potières arrivent à participer aux charges du ménage. Madame Yanhale, mère de huit enfants nous a fait savoir que grâce à la vente des poteries, elle a aidé son époux a élever leurs enfants. " Je n'ai pu rien réaliser mais j'ai aidé mon mari dans la prise en charge de nos enfants , c'est ma plus grande fierté" a t-elle lâché en riant .
Moderniser un tant soit peu cette activité avec un appui en matériel, la construction de four amélioré, et des ateliers en matériaux résistants feraient sans doute des potières de Toumangue de véritables entrepreneurs acteurs de développement.
Robert Douti
Laabali.com