Après l’égorgement des hommes de Kpembolé, dans la nuit du 14 juillet 2022, le village s’était vidé de tous ses habitant ne laissant qu'une chèvre ,une tortue et une chatte. Les habitants en fuite, en majorité des femmes, des vieillards et des enfants ont la plupart élu domicile dans les localités périurbaines. Pour la première fois, depuis leurs fuites, les proches des personnes égorgées, délient la langue, dans une nouvelle vie à laquelle, il faut s’adapter. Enquête.
«Face à de nouvelles réalités il faut s'adapter ». C’est une assertion d’un vieillard de Ponio qui nous a accueilli le Mercredi 10 août 2022, sous une fine pluie matinale qui nous accompagnait; au nord-est du Togo. Il était indiqué que c'est là que vivent certaines familles des victimes de Kpembolé; chef-lieu de la commune de Kpendjal ouest 2.
Nous nous rendons chez l'une des victimes. Ici, on parle peu. On se méfie encore des inconnus. On jette des regards et on les retourne. Les femmes baissent la tête. Et, c’est l’une d’elle qui prend la parole. Et, c’est la première fois, après l’assassinat de son mari. Sur un tabouret contre le mur, une jeune femme allaite un enfant d'à peine un an, c'est dame Lamoute, la trentaine désormais veuve et mère de 7 enfants.
Un silence difficile à rompre, après les salamalecs . La dame Lamoute se recroqueville, aussitôt après les salutations. Mais, notre désir est brûlant . Il faut savoir ce qui s'est réellement passé en cette nuit du jeudi noir. Encore faudrait-il éviter de tourner le couteau dans la plaie . On parle de tout et de rien, puis on l’amène à se détendre. Après l'avoir rassuré, dame Lamoute rompt " Nous étions couchés et subitement nous avons entendu des cris . Nous sommes sortis pour savoir ce qui se passait, mon mari à peine sorti a été fusillé (…). Ils ont pris sa moto et ils ont continué chez son petit frère pour l'abattre aussi». S’ensuit un deuxième silence. Dame lamoute n’a pas fait de commentaire.
On apprendra la suite qu’après l’assassinat de son mari, dame Lamoute vit dans un dénuement indescriptible. Arrivée à Ponio en compagnie de ses enfants, elle a trouvé une bonne volonté qui lui a offert une pièce qui auparavant abritait un moulin, dans le marché. Le constat de la chambre à coucher revèle qu’elle dort à même le sol à la merci des moustiques. L'unique pièce tient lieu de chambre à coucher et parfois de cuisine quand il pleut.
Seul , face à son destin…
"Mon mari était le cadet d'une fratrie. L'année passée, il avait perdu son petit frère. Il ne restait plus que les deux qui ont été tués par les terroristes. Sincèrement, c'est difficile pour moi de dormir seule la nuit avec ces touts petits . La nuit, lorsque nous finissons de manger, c'est chez le voisin que nous allons dormir avec sa femme. " témoigne-t-elle. Désormais seule avec ses enfants, elle ne vit que grâce à la providence. Même si dans sa fuite elle a pu emporter quelques vivres, il faut acheter du bois, les légumes et parfois même de l'eau alors que tout ceci s'obtenait gratuitement au village. En plus, ses enfants ne cessent de tomber malade et à chaque fois il faut aller au centre de santé. La jeune femme nous a informé que les autorités les ont recensé et promis de leur venir en aide, mais la plus grande préoccupation pour elle reste l'organisation des funérailles de son défunt mari. «Ici, dit-elle les traditions accordent une part importante aux rites funéraires sans lesquels l'âme du défunt ne connaîtra pas de repos». La veuve et les orphelins sont soumis à des restrictions jusqu'à l'organisation des cérémonies funéraires.
Mêmes témoignages, mêmes difficultés…
Après nos échanges, la jeune dame nous a conduit dans une autre cour à la périphérie. Nous arrivons à l'heure du petit déjeuner. Trois femmes et des enfants mangent réunis autour d'un plat de riz et de la pâte de maïs de la veille qu'elles ont réchauffé. Une quatrième femme, Afia est assise contre le mur allaitant son enfant. Dans cette cour, c'est Kolani Tchandame , 67 ans qui est désormais la cheffe de ménage. Elle a perdu deux ses enfants ( un adoptif et un biologique) dans l'attaque du 14 juillet . Les témoignages sont effroyables: " Je n'ai jamais vu une telle cruauté, ils ont attrapé mon enfant, je me suis mis à crier . Ils lui ont percé le coup à l'aide d'une baramine (…) raconte la vieille. Avec ses belles filles et et ses petits fils , elles ont trouvé refuge dans cette maison qui leur a été cédée. Une maison délabrée et poreuse. Au delà du semblant de sérénité qu'elles affichent, les victimes sont traumatisées et ont besoin d'un accompagnement psychologique.
Sur une dizaine de familles visitées, le constat est similaire. L’extrème dénuement, le désespoir et le sentiment d’abandon. Les autorités locales n'ont pas souhaité communiquer sur les chiffres exacts du nombre des déplacés enregistrés. Mais des sources locales, parlent de plusieurs centaines. En majorité des femmes et des enfants. Pour l'heure, aucun organisme humanitaire n'est présent dans la zone alors que les besoins sociaux s’annoncent cruciaux avec l'arrivée prochaine de la saison sèche.
Robert Douti
Laabali.com
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