Dans la région des Savanes, le maraichage s’est imposé ces dernières années comme une activité économique essentielle. Cependant, la maitrise de l’eau reste un défi majeur auquel s’attaquent le gouvernement et ses partenaires au développement. Malheureusement, leurs efforts se heurtent souvent à la mauvaise réalisation des ouvrages hydrauliques. Entre mauvaise gestion des fonds, matériaux de piètre qualité et délais non respectés, ces projets inachevés ou mal exécutés exacerbent les souffrances des communautés locales .
Dapaong, 630 Km de Lomé, 20 Novembre 2024. Sur le périmètre irrigué lié à la retenue d’eau de Tantigou , au nord -ouest de la ville, c’est un bassin maraîcher. Le constat est palpable, plus de trois cents maraichers venant des quartiers Tantigou, Tomone et Doré, des villages de Toulonga, Toutoug et Djakpernag, s’adonnent aux cultures de contre-saison. Ce qui s’annonce beau à la vue de l’horizon. La retenue d’eau datant des années 1975 qui était en état de dégradation avancée a bénéficié de travaux de réaménagement il y a cinq ans. En 2019, l’exécution du budget de l’Etat avait prévu une enveloppe pour la réhabilitation de cinq retenues d’eau dans la région des Savanes dont celle de Tantigou. Le marché prévoyait également un appui aux maraichers en matériels (motopompes). Les travaux avaient été confié à l’entreprise TI-BTP sous le contrôle du groupement CANAL EAU.
Un chantier qui s’éternise dont l’eau se rarifie
Plus d’un an après le début des travaux, le chantier prévu pour être exécutés en cinq mois trainait encore. Des sources au ministère des travaux publics ont estimé que le chantier était achevé à environ 98% et rassuré que le curage du bassin sera totalement fait avant toute réception de l’ouvrage. Le bureau de contrôle pour sa part avait affirmé que l’arrêt des travaux était dû à un problème de paiement et que les travaux reprendraient une fois que cette question sera réglée. Par finir, le chantier a été mise à la disponibilité du public avec des monticules de boues essaimées à travers le bassin. L’ouvrage n’a jamais été réceptionné et les motopompes n’ont pas encore été octroyées selon les témoignages de plusieurs maraichers. Mais le maraichage poursuit bon gré, mal gré son bonhomme de chemin sur le site.
Cette situation a réduit la capacité de rétention de la retenue impactant négativement la production maraichère. Depuis les travaux de réhabilitation, rien n’a changé selon les maraichers car la retenue se dessèche à la fin mars écourtant la saison maraichère. Il est légitime de se demander si l’objectif du gouvernement en finançant ces travaux à savoir : augmenter la production maraichère et l’élevage, prévenir l’exode rural et les émigrations des jeunes des Savanes grâce aux activités génératrices de revenus autour de la retenue a été atteint. A l’image de la réhabilitation ratée de la retenue d’eau de Tantigou, le projet de construction de la digue de Sidiki qui a suscité de vives réactions et une large controverse illustre également les échecs flagrants dans la mise en œuvre des infrastructures hydrauliques dans la région.
A Sidiki, les dessous d’un projet loin de satisfaire
De la construction à la reconstruction, la digue de rétention d’eau de Sidiki qui aurait englouti selon les chiffres officiels, plusieurs millions de FCFA, reste un éléphant blanc. La volonté du gouvernement et celle des autorités communales de tone1 butent contre la réticence d’un ouvrage mal réalisé à se tenir debout. Composante 1 d’un projet dénommé Programme de développement de sidiki , son objectif était de garantir un accès à l’eau permanent à l’eau potable et brute pour les populations des villages de Sidiki, Kounkwog et Tangbale en supprimant les corvées d’eau pour les femmes et les enfants . Mais, à l’arrivée, le projet fut un véritable échec. Réceptionné le 9 juillet 2021, la digue n’a pas résisté devant le flot des eaux d’une averse survenue la nuit de sa réception.
Le rapport de l’Ordre National des Architectes du Togo relèvera beaucoup d’insuffisances dans la réalisation des travaux de l’infrastructure. Selon les conclusions de l’expertise de l’ONIT ; il ressort que la rupture de la digue est entre autres due « au mauvais choix des matériaux, à la position et du dimensionnement de l’ouvrage évacuateur de crue et au compactage de mauvaise qualité effectué ». Ledit rapport ajoute que l’entreprise « n’a pas respecté les spécifications techniques particulières et générales contenues dans le dossier d’appel d’offre (DAO) ». Plus loin, l’ONIT a pointé du doigt accusateur le bureau de contrôle des travaux en ces termes : « Le bureau de contrôle a été complaisant dans sa mission de surveillance et de contrôle des travaux exécutés par l’entreprise ».
Pour ce qui concerne le choix des matériaux, le rapport de l’expertise de l’ONIT donne ainsi raison au Cabinet Impact Plus Bénin, maitre d’œuvre au départ, qui avait réalisé l’étude d’avant-projet détaillé du barrage réservoir. Ce cabinet après étude avait proposé la construction d’un « barrage voile en complexe béton armé-maçonnerie de moellon à contre fort ». Pour le cabinet, « les critères globaux suivant ont guidé le choix du type de digue : forme de la vallée, géologie et géotechnique du site, matériaux de construction disponible sur place, conditions climatiques, crues à maitriser », lit-on dans le rapport d’étude du Cabinet Impact Plus Bénin. Cette proposition avait reçu l’assentiment de la coordination de l’ONG SHD, porteuse du projet mais rejetée par l’Association AGIR ABCD ayant levé les fonds auprès des collectivités territoriales françaises pour la réalisation de l’ouvrage. Cette dernière avait estimé qu’un tel ouvrage serait trop sophistiqué, aux dires du Directeur du Cabinet Impact Plus Bénin.
Une histoire de renonciation
Devant le rejet de sa proposition, le Cabinet Impact Plus Bénin a préféré renoncer à la maitrise d’œuvre. « Je viens par la présente vous notifier ma renonciation à la maitrise d’œuvre à l’issue des études techniques détaillées des ouvrages d’approvisionnement en eau potable de Sidiki. La raison fondamentale de cette renonciation est l’option choisie pour la digue à réaliser. L’option d’une digue en terre n’est pas valable à mon avis », écrit Edouard Akpinfa, le directeur du cabinet Impact Plus Bénin le 22 février à Cathérine Rémaury, Délégué territoriale AGIR Héraut. Auparavant, il avait notifié son intention à l’ONG SHD, initiatrice du projet. « J’ai été clair avec AGIR que je ne suis pas d’accord avec leur proposition (…). Je ne veux pas endosser les éventuels désagréments qui surviendront lors de la réalisation de l’ouvrage », avait-il prévenu dans un courrier.
Dans un courrier adressé à Cathérine Rémaury, le 20 février 2019, le coordinateur de l’ONG SHD avait à son tour déploré le flou clair qui avait commencé par entourer le projet avant d’annoncer son intention de s’en désolidariser. « Depuis que monsieur Jacques Plan est à Dapaong, je n’ai aucune information sur le projet. Jusqu’ici, je n’ai pas en ma possession les résultats des études détaillés de la digue ni le montant dédié pour la construction. Mes tentatives pour qu’il me fournisse la lettre et le motif de renonciation du maitre d’œuvre sont restées vaines ». Malgré les alertes données par le cabinet ayant réalisé les études techniques, la digue a finalement été construite en terre. Reconstruite en de novembre à février 2023, elle n’arrive pas à retenir l’eau.
Le coût de la négligence
Ainsi, l’espoir des populations des villages bénéficiaires dudit projet s’est évaporé. La lueur apportée par ce projet s’est transformée en nuages de ténèbres de désespoir dans lesquels femmes et enfants continuent de voir les corvées d’eau continuent d’accaparer une grande partie de leur temps au détriment des activités économiques ou de la révision des leçons. Alors que sources avaient annoncé que le ministère de l’eau et de l’hydraulique villageoise prévoyait faire un captage une fois l’ouvrage achevé pour traiter l’eau et la distribuer aux populations, tout est au point mort. Les activités de maraichages que l’on rêvait voir prospérer aux alentours de la retenue sont désormais passés dans les oubliettes. Perte de revenus pour les familles en raison de la baisse de la production maraichère et, dans certains cas, la décimation du cheptel, exode rural, conflits communautaires dus à la rareté des ressources en eau, etc., sont les conséquences de la mauvaise réalisation des ouvrages hydraulique dans la région des savanes.
Pour garantir le succès des efforts de développement entrepris par le gouvernement, il revient à chaque acteur de jouer son rôle : aux autorités de renforcer les mécanismes de contrôle et de sanctions, aux entreprises de respecter les normes éthiques et techniques et aux citoyens de dénoncer les irrégularités. Dans une région ciblée par la désertification, il en faut plus d’ingéniosité pour contrer les aléas climatiques.
Robert Douti
Laabali