On s’en souvient encore : En 2019, le Togo est classé le 8e pays africains où les populations se suicident le plus selon une étude de l’organisation mondiale de la santé (OMS). Dans la région des Savanes, si de par le passé, selon les experts, les cas de suicides étaient beaucoup plus des cas de pendaison et ou la prise du Dichloro-Diphényl-Trychlorétane(DDT), ces dernières années, ce sont les empoisonnements par la prise de produits toxiques. Des produits nocifs à la santé humaine, vendus sur la place du marché comme de petits pains inquiètent. Au cœur de ces pilules qui endeuillent les familles, et ces victimes innocentes figure le Betoxin, un insecticide en comprimés utilisés pour la conservation du haricot.
En mars 2022, Pakidam Djalogue, enseignant volontaire d’une trentaine d’année meurt. Nous sommes à Boulogou, préfecture de Tandjouaré. Sa femme témoigne : « ce jour-là, il est sorti ; puis revint. Il rentra dans chambre, et s’enferma. Lorsque j’entendis les bruits, je forçai la porte, qui était hermétiquement fermée. Je poussai un cri, c’est là qu’interviennent les voisins. On ouvrit la porte, il était mourant. Il avait bu du DDT, un produit chimique pour traitement de coton ».
Un témoignage glaçant et froid au dos, lorsque son cousin, gérant d’un maquis décrit comment Pakidam avait bataillé contre la dépression et la mélancolie. A l’époque, on accusait les sorciers, et les malédictions familiales. Pakidam, qui se suicidait en mars, était une suite de ce qu’avaient vécu sa mère, et son arrière-grand-mère, avait-on appris. « Un homme gentil, Pakidam ne méritait pas cette mort. On avait prié pour lui, on l’avait soigné pendant des mois à l’hôpital, mais, c’est cette mort qui l’emporta ».
Parler de la mort, surtout la mort par suicide dans nos cultures, est anathème. Une mort crainte, qui suicide raillerie et superstition. De l’annonce, à l’inhumation, la dépouille de ces genres de morts, fait l’objet de moult commentaires. Mais, comme Pakidam, l’histoire se répète, et les évènements aussi.
Quelques années plus tôt, le 17 juin 2018 à Oubitenligou (préfecture de Tône) , la famille Dagalou perdait un des leurs, Sambiani Dagalou, père de dix enfants, suite à la prise du Bextoxin. L’on était loin d’imaginer que quelques années plus tard ce produit continuerait de faire autant de victimes au sein des populations. Le sexagénaire avait, par erreur, avalé le comprimé toxique pour soulager des douleurs d’articulations. Son jeune frère Omante Dagalou se rappelle encore. » Il sentait des douleurs aux articulations. Il a envoyé un enfant au petit marché pour lui acheter un médicament qui soulage les douleurs des articulations (Ibucap gélulles). Ironie du sort, l’enfant qui avait mal saisit ce qui lui a été dit a plutôt acheté des comprimés qui servent à conserver le haricot (Bextoxin) » raconte-t-il avant d’ajouter qu’en langue locale, la confusion est facile à faire à l’oral entre « le produit du haricot « et « le produit des articulations.
Si feu Sambiani Dagalou s’était empoisonné par ignorance, d’autres par contre ont choisi de prendre volontairement ce produit pour se donner la mort. Pour les parents, très souvent impuissants devant les faits, c’est le sort du destin. En octobre 2022, Nakordja Laré 32 ans, père de 3 enfants s’était suicidé à Kpéguidjini après avoir pris deux comprimés de ce produit toxique suite à une dispute avec sa femme. Il n’aura pas la chance d’être conduit à l’hôpital. Des cas similaires ont été signalé dans plusieurs localités de la préfecture de Tône comme Tantoga , Oubiagou ou encore Kourientré,
Le phénomène n’épargne pas les jeunes
Accusée par ses camarades de chambre d’avoir dérobé 200 FR CFA , Adjoa 17 ans, apprentie couturière originaire de Babona s’était donnée la mort au quartier Didagou en avalant le maudit comprimé qu’elle a pris soin d’en acheter. Kanlanfé Douti, 19 ans a passé une dizaine de jours au Centre hospitalier de Dapaong après une tentative de suicide suite à une dispute conjugale. Sa mère raconte qu’il a eu la vie sauve grâce à sa femme qui a vite alerté le voisinage.
À Bouale, un village du canton de Sanfatoute, Sougleyiab Gounséti explique avoir perdu sa nièce presque dans les mêmes circonstances. » je l’ai prise chez moi alors qu’elle n’avait à peine 7 ans parce que je vivais seule. Ces derniers temps, j’avais constaté qu’elle a changé et soupçonnait un début de grossesse. Lorsque je lui ai interrogé, elle n’a pas reconnu être enceinte alors que c’était pourtant réel.
C’est après sa mort que nous avons découvert qu’elle ne supportait plus les railleries de ses camarades à cause de son état. « Ma nièce a préféré se donner la mort en se suicidant, jetant l’anathème sur moi » conclut-elle en sanglots. De sources familiales, plusieurs cas de suicides avec le même modus opérandi sont signalés dans nos contrées.
D’après certains témoins, les malades qui arrivent à temps réussissent à être sauvés , mais la plupart des cas, surtout ceux des villages éloignés des centres de santé, c’est agonisant que les malades arrivent et très souvent, c’est difficile de les récupérer. C’est le cas par exemple de Nagbandja Namediogue, 47ans, décédé en décembre 2022 alors qu’il était conduit au centre de santé de Sanfatoute.
Au Centre hospitalier Régional de Dapaong, Komlan Aziamadji, surveillant aux soins intensifs admet qu’il y a l’admission régulière de patients suites à des tentatives de suicide par inhalation du Bextoxin. Malheureusement toutes nos tentatives en vue d’obtenir des statiques auprès du Directeur du CHR sont restées infructueuses. Au demeurant, faut-il noter, la recrudescence de ces cas de suicides interroge la responsabilité des pouvoir publics quant à la vente de ce produit hautement toxique.
Si la dépression résultant du manque d’écoute et d’affection peut conduire au suicide, dans la région des Savanes, il se dit que le désespoir en serait l’une des principales causes. Des jeunes désœuvrés se noient au quotidien dans l’alcool et parfois la moindre dispute en famille entraine le drame. Un avis que partage le Docteur Koffi Bléwussi Kounou, Directeur du centre de pschycotraumatologie et de thérapie brève à Lomé. Les difficultés socioéconomiques, psychoaffectives et les différents évènements de vie, l’absence de perspectives, sont autant de facteurs pouvant expliquer les cas élevés de suicides dans les Savanes, voire au Togo.
Quoiqu’il en soit, la plupart des chefs coutumiers et religieux condamnent ces genres de mort, qui sont la négation de la vie. Pour y arriver, il faut opter pour la maitrise des produits toxiques , par la sensibilisation. Mais que faut-il faire dans une société de plus en plus en déphasage avec ses valeurs culturelles et cultuelles?
Robert Douti
Laabali