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Interdiction du carburant frelaté : Les reconvertis tentent de joindre les deux bouts

par Edouard Samboe - 2024-08-13 19:53:18 287 vue(s) 0 Comment(s)

Un an après les restrictions de vente de carburant frelaté dans la région des Savanes, en raison du commerce illicite, les habitants de cette zone du nord du Togo font face à des difficultés économiques croissantes. Dans un contexte marqué par la pauvreté et une mobilité réduite, cette mesure, bien que motivée par des préoccupations sécuritaires, a fortement impacté le quotidien des populations locales. Les reconvertis tentent de trouver de nouvelles voies économiques, mais le chemin reste semé d’embûches.

Un t-shirt trempé de sueur colle à la peau d’un homme d’une cinquantaine d’années, dont la fatigue se lit dans le regard. Essoufflé, il traîne péniblement une vieille moto de marque Apsonic. Sur le porte-bagage, Abdoulaye, un garçon d’environ dix ans, grelotte. Souffrant de paludisme, il a été référé par l’infirmier du dispensaire de Yembouate au CHR de Dapaong pour des soins plus appropriés. Mais en route, la motocyclette de son père est tombée en panne sèche. Après avoir traîné son engin sur plus de 8 km, il trouve enfin un point de vente de carburant au bord de la route. Mais le litre lui est vendu à 1250 FCFA. « Tom nan malawana? » se demande-t-il en langue mooré, signifiant « Comment allons-nous faire? » face à la flambée des prix.

Depuis le début de la crise sécuritaire, l’interdiction de la vente de carburant en bidon et autres récipients dans la région des Savanes est strictement appliquée. Les autorités suspectent que le trafic de carburant finance illicitement des groupes extrémistes. En zone rurale, l’usage des motos est devenu parfois un cauchemar. « Parfois, il faut parcourir des kilomètres avant de trouver du carburant et, lorsque tu en trouves, c’est à prix d’or. La nuit, en cas d’urgence nécessitant un long déplacement, c’est compliqué pour nous. Les villageois ont des motos, mais il n’y a pas de carburant, » se lamente Séraphin, un agent de santé communautaire. Trouver une pompe à essence homologuée par l’État reste difficile dans plusieurs localités.

Pour de nombreux villageois, les restrictions sur la vente de carburant, bien que justifiées par des préoccupations sécuritaires liées à la menace terroriste, ont des répercussions profondes sur leur quotidien. Souvent, ils doivent s’approvisionner au bord des routes en raison du manque de stations-service. Malgré les difficultés, les populations respectent scrupuleusement les décisions des autorités.

Un environnement économique fragilisé

La région des Savanes, déjà marquée par la pauvreté et une crise humanitaire, subit de plein fouet les effets de cette interdiction. Le carburant, indispensable pour les activités agricoles, le transport et même les opérations commerciales de base, se fait rare.

À Dapaong, chef-lieu de la région, le litre se vend à environ 900 FCFA au bord de la route, tandis que dans les zones rurales, ce prix peut atteindre 2000 FCFA, notamment dans les localités frontalières comme Nadjou, Bouale Tchiégle, Yembouate, etc. Depuis quelque temps, les autorités ont encouragé l’abandon des carburants frelatés, une mesure sécuritaire visant à combattre l’extrémisme. Il est bien connu que certains groupes extrémistes se financent grâce à la contrebande de carburant. Pour contrer cette menace, l’État a décidé de mettre un terme à ce trafic.

Pour une population majoritairement composée d’agriculteurs vivant de la culture de subsistance, ces coûts exorbitants rendent difficile l’accès aux marchés et même aux services de santé en cas d’urgence. « Ici, le carburant coûte 15 00 FCFA et il est difficile à trouver. Les gens ont peur de vendre par crainte de financer les groupes extrémistes par inadvertance. Pour trouver du carburant, il faut aller au carrefour de Tidonde (environ 9 km) avant de pouvoir acheter un litre à 1000 FCFA, » confie un chef de village sous anonymat. « La situation est encore plus complexe en cas d’urgence la nuit. Il peut arriver de parcourir tout le village sans trouver une seule goutte de carburant, » ajoute-t-il. Les agriculteurs, déjà vulnérables à cause de la précarité de leurs revenus, se trouvent pris dans un cercle vicieux d’endettement et de paupérisation dû à l’augmention des tarifs de transport qui entraine une flambée des prix.

Une mobilité de plus en plus réduite

L’une des conséquences les plus directes de cette mesure est la réduction de la mobilité. Les déplacements entre les villages et les centres urbains deviennent de plus en plus rares, car les coûts de transport augmentent de manière significative. « Avant la crise sécuritaire, avec 500 FCFA, on pouvait rallier Dapaong à bord d’un tricycle lorsqu’on n’avait pas de bagages. Aujourd’hui, il faut supplier les conducteurs pour qu’ils acceptent 800 FCFA, » confie Téninyale Kolani, maraîchère à Mampo.

Les commerçants, qui dépendent de la vente de leurs produits dans les marchés locaux, voient leurs marges se réduire à peau de chagrin en raison du coût élevé du transport. Nakorpoua Kountondja, revendeuse d’arachides depuis une dizaine d’années, s’approvisionne au marché de Dapaong. Ces derniers temps, cependant, le coût du transport devient insoutenable : « Avant, le tricycle nous prenait 500 FCFA par sac. Si tu avais plus de cinq sacs, tu ne payais pas pour toi-même. Entre-temps, ils ont augmenté à 200 FCFA, puis 300 FCFA. Aujourd’hui, les frais de transport s’élèvent à 1000 FCFA par sac, et peu importe le nombre de sacs, nous devons désormais payer aussi pour nous-mêmes, » se désole-t-elle.

Cette situation a sérieusement impacté son commerce, et aujourd’hui, elle envisage de se reconvertir. « Les frais augmentent, il n’y a plus de bénéfices, et pire encore, les ventes ont drastiquement chuté, » ajoute-t-elle.

Les conducteurs de taxi-moto des zones rurales, bien qu’ils saluent la mesure, déplorent les lourdes conséquences qu’ils doivent supporter. « Cela nous coûte vraiment cher. Le litre est à 1000 FCFA. Prendre un client et l’amener quelque part devient problématique au niveau des tarifs, » déplore Kombaté Yendoukoi, secrétaire adjoint du syndicat des taxis-motos de Korbongou.

Yendoukoi Kombaté, secrétaire -adjoint du syndicat des conducteurs de taxi motos de Korbongou

Les habitants des zones rurales sont les plus touchés par cette situation. Ils doivent braver de longues distances pour répondre à divers besoins en ville. « Cette situation exacerbe les inégalités entre les zones rurales et urbaines. Les habitants des villages les plus reculés, qui doivent parcourir de longues distances pour accéder à des services essentiels, sont particulièrement pénalisés, » observe Laldja Kombaté, instituteur à la retraite, qui affirme avoir limité ses déplacements vers la ville en raison de la cherté et de l’indisponibilité du carburant. Contacté par notre rédaction, le préfet de Tône n’a pas souhaité se prononcer sur le sujet.

Dans l’opinion publique, les mesures restrictives sur la vente de carburant sont perçues de manière positive pour des raisons sécuritaires dans les grandes villes, un an après leur instauration. Mais dans les campagnes, les avis sont mitigés. « Bien que la mesure vise à limiter les ressources disponibles pour les groupes extrémistes dans la région, son impact sur la sécurité reste à l’appréciation du gouvernement. D’un côté, la réduction de la circulation de carburant pourrait freiner les mouvements des groupes armés. De l’autre, l’impact économique parmi les populations locales touchées par l’interdiction de vente reste préoccupant, » explique Aboukérim, un agriculteur rencontré au bord d’une rivière.

La mesure d’interdiction de la vente de carburant dans la région des Savanes, bien qu’animée par une volonté de sécurisation, a eu des conséquences inattendues sur le tissu économique et social local. « Face à la précarité croissante, il est urgent que les autorités repensent leur stratégie en associant davantage les populations locales dans la prise de décision et en mettant en place des solutions alternatives pour soutenir les activités économiques, » propose un consultant en gestion des conflits, qui a requis l’anonymat. Parmi les solutions alternatives à envisager figure la construction de stations d’essence. Bantinia Blimpo, maire de la commune de Tône 4, lance un appel aux opérateurs économiques : « Il revient aux opérateurs économiques de construire des stations d’essence. L’État ne construit pas de stations d’essence, il se limite à délivrer les autorisations d’installation. Notre commune peut trouver de l’espace pour cela. Quand on interdit totalement la vente de carburant dans les villages, des malades peuvent mourir, et des femmes peuvent accoucher en brousse faute de moyens de transport.« 

Pour certains, les habitants de la région des Savanes, déjà éprouvés par quatre années d’état d’urgence (sanitaire puis sécuritaire), continuent de panser leurs plaies et espèrent le retour de la sécurité. Ils souhaitent que les autorités mettent en place des mécanismes compensatoires pour atténuer les effets de cette interdiction.

À travers le PURS (Programme d’Urgence pour la Région des Savanes), des efforts sont déjà entrepris pour soulager les populations locales. Parmi les initiatives mises en œuvre, on trouve la création de centres d’écoute pour les jeunes, la prise en charge humanitaire, la construction de routes et de centres de santé, ainsi que la mise à disposition de numéros verts d’urgence pour signaler aux autorités les situations locales urgentes sur le plan sécuritaire.

Robert Douti

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