L’utilisation des pesticides est devenue une pratique courante chez les agriculteurs modernes. Appelés « brûleurs », » colle » ou « Kondem », selon leurs fonctions respectives, ils se retrouvent à chaque coin de rue. Pour les agriculteurs,ils sont la solution à la pénurie de main d’œuvre. Cependant, ces produits présentent des risques importants pour la santé humaine et animale, la biodiversité et l’environnement
Au couchant, les derniers rayons du soleil luttent contre les ténèbres qui saluent la tombée de la nuit à Tambangou, un village de la préfecture de Tandjoaré. Les paysans rentrent des champs. À quelques mètres de la nationale numéro 1, Akouya, la trentaine, s’active à sa rizière, le pulvérisateur au dos. Sans casque ni gants, la jeune dame agite le pistolet dans tous les sens, ignorant qu’elle s’expose aux risques d’inhalation et de contact cutané. Ici comme ailleurs dans la région des savanes, de telles scènes sont devenues courantes ces dernières années. Réputée zone de production maraîchère avec une forte utilisation des pesticides, les producteurs semblent ne pas se soucier de leur propre santé ni de celle des populations, dans leur course effrénée pour l’argent.
Plusieurs spécialistes affirment que certaines maladies autrefois inconnues dans nos milieux ont fait leur apparition ces dernières années à cause des pesticides. « À court terme, les impacts des pesticides sur la santé humaine sont les intoxications, les irritations, les allergies, etc. À long terme, ce sont les cancers, les troubles neurologiques, les perturbations endocriniennes », révèle la division des produits phytosanitaires et de la répression des fraudes à la Direction de la Protection des végétaux.
La réduction de la biodiversité, les perturbations de l’écosystème, la contamination des sols et des points d’eau sont, selon une étude du Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricole (CORAF/WECARD), d’autres effets néfastes de ces produits tant adulés par les agriculteurs qui pourtant vivent au quotidien ses ravages. « En juin 2024, une famille a perdu ses six bœufs de trait à Tantoatre (village situé à 7 km au nord-ouest de Dapaong). Les bêtes se sont abreuvées dans un étang contaminé », nous révèle une source. En juin 2023, un paysan avait perdu un hectare de jeunes plants de cotonnier dans le village de Kourientré (commune de Tône 1). Les enfants de l’infortuné s’étaient trompés en utilisant l’herbicide total communément appelé « Kondem » à la place d’un fertilisant. Les pouvoirs publics ont bien conscience des ravages causés par ces produits, mais la lutte contre ces derniers reste un combat de longue haleine.
Lutter contre les produits phytosanitaires non homologués : une mission impossible
« Dans le souci de préserver non seulement l’environnement mais aussi la santé humaine et animale, il est formellement interdit aux agriculteurs d’importer et de commercialiser les pesticides non homologués, notamment le Glyphosate, sur l’ensemble du territoire, conformément à la loi numéro 96-007/PR du 3 juillet 1996 portant protection des végétaux », c’est par cet arrêté du 19 décembre 2019 que le gouvernement togolais a officialisé l’interdiction des pesticides non homologués sur son territoire. Quinze ans auparavant, l’arrêté 30/MAEP/SG/DA du 24 septembre 2004 interdisait déjà l’importation et l’utilisation au Togo d’organochlorés (Aldrine, Endrine, Dieldrine, DDT et ses dérivés, Mirex, Toxapene, Hexachlorocyclohexane Chlordane, Heptachlore), reconnus comme pesticides dangereux pour la santé humaine, animale et l’environnement.
Cependant, cinq ans après, les aboiements du chien sont loin de préoccuper la caravane qui continue sa progression. Les pesticides de toutes sortes pullulent sur le marché, conséquence des failles dans le système de contrôle et de surveillance mais aussi de la pression des lobbies de l’industrie chimique. « Le circuit d’importation des pesticides au Togo n’est pas encore bien maîtrisé. La situation géographique du pays en fait un marché d’écoulement et d’utilisation et/ou de transit de divers produits aux caractéristiques souvent incertaines. Cette situation est favorisée par la grande perméabilité des frontières (…) », lit-on dans le rapport final du Plan de Gestion des Pesticides (PGP) élaboré sur le Programme de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest.
« Nos frontières sont poreuses et ces produits atterrissent facilement sur le territoire venant des pays voisins. Le système de contrôle semble impuissant face à cette situation », regrette un conseiller agricole à la retraite qui a requis l’anonymat. Sur le marché, les pesticides sont vendus comme des petits pains par des commerçants qui ne visent que leur gain. « Même dans les magasins des distributeurs agréés, ce qu’on expose est différent de ce qu’on vend », renseigne une source.
L’absence d’unité d’incinération, l’autre handicap
Au Togo, la division des produits phytosanitaires et répression de la Direction de la Protection des Végétaux (DPV) se charge de la lutte contre l’importation, la commercialisation et l’utilisation des pesticides non homologués. Malheureusement, ce service, en plus de son personnel insuffisant, ne dispose pas d’unité d’incinération pour d’éventuelles saisies de produits interdits. « Il y a des produits de 1960 dans nos magasins », ironise une source qui ajoute que jusqu’à ce jour, seule la Côte d’Ivoire dispose d’une petite unité d’incinération des produits phytosanitaires non homologués en Afrique de l’Ouest. « Des descentes inopinées sont faites sur le terrain et le constat est amer », affirme la Direction de la Protection des Végétaux .
Houmey Vilawoe Mokpokpo
Laabali