La triple souffrance. Voila le quotidien de ces femmes qui veulent vivre dignement, à la sueur de leurs fronts. Elles souffrent, parce qu’elles sont femmes, mères, filles, illétrées et pauvres. Elles viennent des Villages comme Nanergou, Naki-Ouest, Yembouate, etc. Dans une région presqu’ abandonnée par l’Etat il y’a plusieurs années et ciblée par le terrorisme, avec un lot de déplacés internes, les femmes semblent être au coeur du maillon faible. Malgré toutes ces difficultés, elles veulent se battre et vivre dignement. Mais un système de racket organisé, ploie sur leurs dos, comme un joug invisible. Un triple rackets mis en oeuvre par les forces de l’ordre (qui devraient normalement les protéger), les agents de taxes des marchés (qui utilisent des formes de ménace) et les achéteurs (des commerçants des villes sans scrupules) qui paient leurs marchandises selon leur bon vouloir. Dans ce reportage, elles s’indignent et dénonçent l’excès de l’exploitation.
Visages fermés, mains à la tempe ou sur le menton, regards interrogateurs, il n’en fallait pas plus pour attirer notre attention. Assises par petits groupes sous les hangars ou au pieds des arbres, certaines debout au soleil adossées à leurs marchandises, les revendeuses d’oignons du marché de Tingban-gabong laissent jaillir leurs inquiétudes et s’interrogent…
Samedi 11 février 2023, jour de marché. Comme à l’accoutumé le marché de Tingban-gabong grouille de monde. Ici, l’oignon est la principale marchandise qui attire clients et curieux. On y trouve de toutes les variétés: blancs, roses ou encore des plants entiers avec des feuilles et des jeunes bulbes ou des boules de feuilles d’oignons séchées . La seule chose qui manque ici, c’est le sourire qui a fait place au silence, aux plaintes et même aux lamentations face à la mévente qui s’installe depuis quelques jours.
Des tas d’oignons à même le sol , devant des femmes au regard hagard, des centaines de sacs qui s’étendent sur la place du marché alors que nous sommes déjà l’après-midi. L’ambiance est inhabituelle et à peine interrogées, les femmes égrennent un chapelet de plaintes comme pour se libérer le coeur.
Le paiement des multiples taxes sur les marchandises….
» Les producteurs sont nos parents, ils se plaignent de la cherté des engrais ( 30000f le sac) lorsque nous allons dans les champs pour acheter. Face à leurs plaintes, nous achetons chers pour ne pas les tricher parce qu’ils font pitié. Sur la route, il faut payer les taxes à chaque fois que vous traversez une commune, il faut payer au forces de l’ordre, les frais de transport ont grimpé à cause du manque de carburant dans les villages. À l’arrivée, il n’y a pas de preneurs et nous sommes obligées de supplier des gens pour leur liquider ça parfois à crédit puisqu’il n’y a pas de magasins pour garder. » Se lamente une revendeuse venu du quartier Kombonloaga.
De la maison au marché, les femmes affirment payer parfois jusqu’à cinq fois les taxes et elles se demandent finalement si les mairies n’ont été mises en place que pour dépouiller les populations. Pour celles venues de Tône 3, c’est le Comble. » Pour nous qui achetons l’oignon à Wourgnanga(Ghana), il faut payer au 500f au niveau du Chekpoint de l’opération Koundjoaré de Gabongbongou, payer 500f au poste de gendarmerie de Naki Ouest, payer 500f auprès des collecteurs de tickets de la Commune de Tône 2 et venir payer 500f au marché de Dapaong pour un seul sac d’oignon en plus des frais de transport qui s’élèvent à 2000f minimum. » affirme dame Mindile Bambile,venue de Nanergou, la gorge nouée. » Parfois lorsque nous arrivons au marché, c’est avec peine que nous arrivons à nous acheter un sachet de pure water. Avec cette situation, je me demande ce que l’on veut de nous » ajoute t-elle. Face aux multiples rackets, certaines femmes choisissent parfois de transporter leurs marchandises la nuit afin d’échapper aux » ticket men » mais c’est mal connaître les disciples de Saint Mathieu. » Même la nuit, à n’ importe quelle heure, ils sont là sur la route nous attendant.
En pleine circulation la nuit, ils te font signe avec la lumière de la lampe torche pour te demander de t’arrêter. Par ces temps d’insécurité, c’est une méthode à proscrire par les mairies parce que les braqueurs et les terroristes pourraient imiter le même modus operandi » souligne Koadima Awa, venue de Yembouate, une localité frontalière avec le Burkina Faso.
Impitoyables faces aux pauvres dames.
Si les rackets des pauvres populations qui peinent à survivre par les gendarmes ne sont pas une nouveauté dans les savanes, la surprise viendraient du côté de ces allégations contre les FDS au niveau du Check point de Gambongbongou( Tône 2). Si cette information est vérifiée, c’est déplorable pour des populations déjà prises en étau entre la misère ambiante et l’insécurité. « Comment des gendarmes peuvent-ils bloquer des tricycles transportant de l’oignon pour exiger de l’argent avant de les libérer? S’interroge un conducteur de tricycle face à ce témoignage de Soumaïla Yalsida, 49 ans. » Un jour, arrivés à la gendarmerie de Naki-ouest, les gendarmes nous bloqué pendant des heures. Nous étions plus d’une dizaines de tricycles et finalement chacun à payer 500f par sac transporté. Si ça va continuer comme ça, nous allons tous fuir .
À mon âge, je devrais rester à la maison pour élever mes poules tranquillement, mais face à la précarité, je me suis lancé dans le commerce de l’oignon mais on ne nous facilite pas la vie. » Madame Kombaté Bampi, 61 ans, venus de Nanergou s’est étonnée des agissements des percepteurs de tickets de la commune de Tône 3. » J’ étais allée acheter de l’oignon et au retour, arrivé à Djakpelnague, ils m’ont arrêté et exigé 3500f pour les 7 sacs d’oignons. Je n’avais plus assez d’argent. Je les ai supplié jusqu’à me mettre à genoux. Ils ne m’ont pas écouté. Ils ont menacé de garder un sac si je n’ai pas la totalité de l’argent. C’est grâce a une dame qui a eu pitié de moi et m’a prêté l’argent pour pouvoir leur payer. À mon âge, devrais-je me battre encore pour nourrir mes enfants et subir toutes ses humiliations.? Mon fils ainé est titulaire d’une licence , par manque de boulot ici, il est allé se chercher au Burkina Faso. La crise sécuritaire l’a contraint à revenir pour se retrouver encore à ma charge avec ses petits frères(…). »
Entre mévente et paiement des multiples taxes, les femmes revendeuses de Tingban-gabong sont à bout et se demandent de quoi demain sera fait. De leurs témoignages, il ressort que toutes les marchandises ( mais, soja, haricot, arachides, mil…) Sont taxées à 200f le sac mais l’oignon est facturé à 500f. Une situation que les femmes n’arrivent pas à comprendre. Pour la plupart d’entre elles, ce sont des crédits obtenus au sein des micro-finances ou des Groupements villageois d’épargne et de Crédit qui leur permettent d’exercer leurs activités afin de joindre les deux bouts . Chaque jour, la crainte de ne pas pouvoir rembourser ne cesse de les hanter.
Crise sécuritaire, concurrence , surabondance, les raisons de la mévente à Dapaong.
La situation sécuritaire est l’une des causes de la surabondance des oignons sur la place du marché. En effet dans les villages de Zambendé, Modaog, Diakarga et environs réputées être des zones de fortes production d’oignons, beaucoup de producteurs ont fui sous les menace des groupes armés terroristes.
La majorité a dû récolter les oignons non matures avec les feuilles pour les vendre alors qu’habituellement cette pratique étaient uniquement le propre des producteurs des riverains de la volta blanche tèls que wourgnaga, kpantchiangbane, warkambou, Kougdagou, Djamoni…. Les plus chanceux , dans leur fuite, n’ ont eu d’autres choix que de liquider leurs productions aux revendeuses qui les ont déversé sur le marché . Pour madame Tchindi Bilakinfiague, grossiste, la situation ne dépend pas d’elles. » Nous achetons ici pour revendre à Anié.
Or cette année, en plus de Dapaong, des oignons de très bonne qualité arrivent de Malanville(Bénin) et sont moins chers ; ce qui fait que lorsque nous arrivons ici ,nous ne pouvons pas payer ça au prix qu’on nous propose. Si on achète, on ne peut pas revendre. Le marché passé, on nous a vendu le sac à 25000f , avec le transport et les frais de douanes, le sac est revenu à 28000f. Arrivé à Anié, nous avons revendu difficilement le sac à 30000f « .
Face à cette situation, les femmes ne savent à quel saint se vouer. Leur sort se joue désormais entre la crise sécuritaire et la crainte des poursuites des institutions de microfinance auprès desquelles elles ont obtenu des crédits. Et pourtant, pour la plupart d’entre elles, la scolarité des enfants, la santé et la popote sont à leur charge.
Robert Douti
Laabali.com