Dans de nombreux pays africains, une triste réalité persiste : les intellectuels, censés être les gardiens de la vérité et de la justice, choisissent trop souvent de s’aligner sur le pouvoir, même lorsqu’il est autoritaire. Ils mettent leur intelligence au service des dictateurs, échangeant leur plume contre des liasses d’argent ou se laissant museler par la menace du fusil. Pourtant, en Guinée, sous le régime de Mamadi Doumbouya, quelques rares intellectuels continuent de faire preuve de courage et de droiture, à l’instar de l’écrivain Tierno Monénembo .
Tierno Monénembo, l’une des figures littéraires les plus respectées de Guinée, s’est longtemps distingué par la puissance de ses écrits et son regard critique sur les régimes politiques africains. Lauréat du prix Renaudot en 2008 pour Le Roi de Kahel, il est reconnu non seulement pour son talent littéraire, mais aussi pour son engagement sans faille pour la justice et la démocratie. Lorsqu’en septembre 2021, le général Mamadi Doumbouya renversa Alpha Condé, Monénembo se réjouit, comme beaucoup de Guinéens, de la chute d’un despote qui avait confisqué le pouvoir après des élections controversées.
Monénembo, toujours fidèle à ses idéaux, salua le putsch comme une opportunité de libérer la Guinée d’un régime vieillissant et corrompu. Il appela même ses compatriotes à soutenir ce « soldat du peuple », espérant qu’enfin, la Guinée pourrait amorcer une véritable transition démocratique. Il n’était pas seul dans cet espoir : de nombreux intellectuels guinéens, fatigués de la dérive autoritaire de Condé, virent en Doumbouya un espoir de renouveau.
Cependant, l’espoir fut de courte durée. Très vite, Monénembo, avec la lucidité et le courage qui le caractérisent, dénonça les signes évidents d’un nouveau glissement vers l’autoritarisme. Doumbouya, qui avait promis de restaurer la démocratie, commença à accumuler les retards dans la mise en œuvre des élections et à imposer un régime militaire sans perspectives claires. Pour Monénembo, ce n’était rien de moins qu’une trahison des espoirs du peuple guinéen. » Vous réunissez en vous la cruauté de Sékou Touré, la corruption de Lansana Conté, l’hystérie de Dadis Camara, l’incompétence notoire de Sékouba Konaté et le machiavélisme d’Alpha Condé. Bref, vous êtes 5 catastrophes en une ! Plus personne ne veut de vous et vous le savez bien ! » a t-il déclaré cette fin de semaine dans une tribune.
Cette sortie n’est pas la première. Dans des écrits amers, le natif de Porédaka dépeint très souvent et sans détours la réalité quotidienne sous le règne de Doumbouya : « Pas d’eau, pas d’électricité, pas d’essence, pas d’Internet ! Vivre sous le règne de Mamadi Doumbouya, c’est débarquer directement en enfer sans passer par la tombe. » Ce cri de désespoir révèle la profondeur de la déception ressentie par Monénembo et par une grande partie de la population guinéenne, qui espérait enfin tourner la page de décennies de mal-gouvernance.
L’écrivain, la voix de la résistance
Monénembo fait partie de ces rares intellectuels guinéens qui refusent de plier face à la corruption ou à l’intimidation. Alors que beaucoup ont préféré se ranger du côté de Doumbouya, espérant tirer profit de leur proximité avec le pouvoir, Monénembo a choisi de rester fidèle à ses principes, dénonçant sans relâche les dérives du régime. « Le régime de Mamadou Doumbouya ne peut plus avancer le visage masqué. Son vernis démocratique est tombé », écrivait-il, exprimant une vérité que peu osent dire publiquement.
Son courage rappelle celui d’autres écrivains guinéens, comme Camara Laye ou encore Djibril Tamsir Niane, qui, à travers leurs œuvres et leurs engagements, ont toujours lutté pour la liberté et la dignité de leur peuple. La Guinée, malgré ses multiples crises politiques, a toujours pu compter sur des voix fortes, capables de résister à la tentation du silence ou de la complicité avec les puissants.
L’intellectuel face à la tentation du pouvoir
Le parcours de Monénembo souligne une réalité plus vaste qui touche l’ensemble du continent africain. Trop souvent, les intellectuels, qui devraient être les consciences morales de leurs sociétés, se laissent séduire par le pouvoir. Ils troquent leur indépendance d’esprit contre des avantages matériels, devenant ainsi complices des dérives dictatoriales. Cela a été le cas sous les régimes d’Alpha Condé, et cela continue sous Mamadi Doumbouya.
Mais Monénembo, lui, refuse ce chemin. Il reste fidèle à une vision de l’intellectuel comme un phare pour la société, un guide moral capable de dire la vérité, même lorsque celle-ci dérange. En Guinée, comme ailleurs en Afrique, il est impérieux que des voix comme la sienne continuent à s’élever, pour rappeler que l’éthique et la justice ne doivent jamais être sacrifiées, même sous la pression du pouvoir.
La déception de Monénembo face à Mamadi Doumbouya est à l’image des espoirs brisés de millions de Guinéens. Pourtant, elle n’efface pas le courage de cet écrivain, qui reste, contre vents et marées, une figure d’intégrité dans un paysage politique où l’opportunisme règne souvent en maître. À travers ses critiques, il nous rappelle que le rôle de l’intellectuel n’est pas de servir le pouvoir, mais de défendre le peuple, la vérité, et la justice.
Robert Douti
Laabali