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Situation humanitaire à Ponio : Ceux que les déplacés internes nous ont dit….

by samboe - 2022-08-11 00:40:20 1037 vues

Ponio, chef-lieu du canton du même nom ; commune de Kpendjal ouest II , 37 km à l'Est de Dapaong. L’une des localités frontalières du Togo qui résiste encore à la nébuleuse. De l’autre côté de la frontière, en terre burkinabè, les groupes armés sont là. Ils font la loi, contrôlent les pièces ; rackettent les populations et les chassent de leurs terres. Ceux qui ont fui parlent des menaces de mort subies. Elus domicile dans les familles d’accueil côté Togo, ils ont pu échapper à la mort. Mais la situation humanitaire hante leurs lendemains. Reportage.

 

Ponio, 10 août 2022. Ce nom ne vous dit sans doute rien. Mais, il existe ; c’est une commune qui fait frontière avec le Burkina. Une localité qui résiste et qui accueille ceux qui fuient. A 100 m de la frontière, côté Togo, un contrôle strict. Des éléments aux aguets. Même, s’ils ne tardent de lâcher un sourire, lors des contrôles des pièces d’identité. La tension est palpable. On ne sait pas qui est qui, comme le dit là-bas, et les mains sont sur les détentes. A Sankoado, moins de 2 km de là, premier village burkinabè, proche de la frontière, c’est une zone d’intérêt militaire. L’armée burkinabè combat la nébuleuse, les populations fuient et les crépitements des armes sont légion.  Les populations savent qui les attaque, mais ne voient pas leurs visages. Il s’agit des enturbannés, qui parlent leurs langues ; des hommes de brousse, ils tuent.

 

La contagion armée…… un serpent de mer

 

 

Ici, dit-on, c'est le fleuve qui tient lieu de frontière naturelle entre les deux pays. Depuis la dégradation de la situation sécuritaire à Kompienga, province burkinabè, la plus proche du Togo, la contagion est là. Les hommes armés radicaux, que les populations nomment « hommes de la brousse » essaiment les deux côtés de la frontière.  Comme Sankoado est aux mains des groupes armés extrémistes, l’Etat burkinabè est absent. Ponio résiste, mais son quotidien est jalonné d’accueil des populations civiles. Les premières venues du Burkina et les autres issues des villages voisins vidés de leurs habitants. A cause des égorgements des habitants dans certains hameaux, les 14 au 15 juillet dernier. Une contagion dont la source est un véritable serpent de mer.

 

 

Les villages se vident, les populations s’affluent. Tikonti, Tambimbongou, Oubiagou, Nassabre dans le Burkina ou Kpembonle, Kpenkankandi, Bontolongue , au Togo  sont des villages vidés. Plusieurs milliers de personne en fuite. Les femmes témoignent que les bras valides, notamment des hommes ont pris la direction du Nigéria, du Ghana et de la côte d'Ivoire. Mais les personnes âgées, les femmes et les enfants sont là, une urgence humanitaire pour les familles d’accueil de la commune de Ponio.

 

  Malgré cette période de soudure, certains membres des familles d’accueil rassurent : « Le peuple Gourma (peuple et langue de cette localité) se distingue par sa légendaire hospitalité et sa solidarité. Lorsque ça va mal chez le voisin, on n'allume pas le feu chez soi ». Un dicton partagé dans la localité. Chacune des familles visitées a des déplacés internes.

 

C’est le cas des Thiombiano Lardja et Thiombiano Lamoutidja , la cinquantaine ,deux cultivateurs et pères de famille, accueillis par des cousins togolais . « Nous étions dans le village de Boansongle et les hommes de la brousse nous ont chassé. Nous sommes allés rester à Oubiagou. Après le drame du 1er août qui a fait 37 morts, nous avons jugé mieux de quitter là-bas. Je n'avais plus où aller. J'ai donc suivi mon cousin Lamoutidja qui venait chez son oncle maternel." C'est ainsi que les deux cousins, leurs épouses et leurs enfants nous ont rejoint », raconte Lardja Thiombiano .

 

Solidarité et hospitalité, les armes de la résilience

 

Aujourd’hui, les deux hommes et leurs familles nombreuses sont accueillis par Tadja Douti, cultivateur de son état, habitant de Ponio. « C’est nos parents et nous devons les aider », Rassure Tadja Douti, doyen d’une concession familiale qui compte sept cases rondes couvertes de chaumes.

 

L’état de délabrement desdites concessions fait que seules quatre cases sont habitables et accueillent les 36 personnes qui composent désormais cette famille recomposée. Lorsqu’on cherche à savoir comment se débrouillent-ils, la réponse est à peine compréhensible. Le doyen Tadja Douti a fini par nous confier : « Une chose est sure, la nuit ce n'est pas la joie dans cette cour. On se confie aux mains de la providence ». « La vache n'a pas la force de l'âne pour trainer une charrette et nos ancêtres en ont bien conscience, mais si cette dernière se retrouve à jouer le rôle dévolu à l'âne, c'est que la nature lui prêtera la force nécessaire " nous a-t-il répondu ironiquement, lorsque nous avons cherché à savoir comment se prendre pour venir aux besoins de cette grande famille.

 

Chassé de ses champs et loin de ses greniers, Lamoutidja Thiombiano, très triste n’a pas pû retenir ses émotions, après un large soupire a murmuré : « À l'heure actuelle, le paysan ne peut se nourrir que de la nouvelle récolte car le peu que nous avons pu emporter dans notre fuite est épuisé. Actuellement le mil, le maïs et même le haricot est prêt pour la récolte mais nous avons tout abandonné derrière nous. Dieu seul ce qui nous attend demain ». Alors qu’il parle son regard est tourné vers son village situé à une vingtaine de kilomètres de Ponio. « A l’origine », dit-il, « nous étions paisibles et bien. On mangeait ce qu'on produisait ». Puis, un silence inquiétant. Lamoudja sait que la donne a changé, plus de sécurité dans son village. Plusieurs heures de marches, bagages sur la tête, pression et peur ont guidé leurs fuites.

 

Comme Lamoutidja et Lardja, ils se comptent par centaines, ces paysans qui ont tout abandonné pour avoir la vie sauve. Dame Kpindibote Lamoute, 38 ans, mère de 7 enfants qui a perdu son mari à Kpembonle. Elle s'est réfugié à Ponio . Une bonne volonté lui a offert une pièce qui abrite un moulin où elle vit avec ses enfants. A chaque regard devant les concessions, des individus tristes et apeurés. Des enfants qui ne sont pas allés à l’école et des hommes , leurs parents absents, à cause des ménaces.

 

Avenir incertain

 

 

Obligés de vivre dans des conditions précaires, les réfugiés burkinabè et les déplacés des autres villages togolais qui ont élu domicile à Pognon, continuent de s’interroger de leur avenir. Interrogé sur l’aide apportée par des organisateurs humanitaires et les services sociaux des Etats, les populations répondent par la négative. Mais le pire, pour ces populations, c’est l’oisiveté. " Nous ne savons faire rien d'autre que cultiver la terre mais aujourd'hui nous sommes contraint à rester oisifs au quotidien, rien que ça seulement, c'est dur à supporter " se lamente Lamoutidja Thiombiano.

 

 Interrogé sur la question d'un probable retour si la situation sécuritaire venait à s'améliorer, pour l’instant, les deux cousins expliquent qu'ils se sentent mieux à Ponio. « Si ceux qui nous a chassé de l'autre côté ne peuvent pas venir ici, nous y resterons. Nous allons demander des parcelles de terres pour faire des maisons pour rester pour toujours », se projette Lamoutidja 

 

A travers la commune de Ponio, l’Etat togolais assure la sécurité de ces populations, mais les structures humanitaires ne sont pas encore implantées à cause des menaces sécuritaires, selon des confidences. Toutefois, dans la ville voisine de Koundjoaré, les populations vidées des villages frontaliers, ont été établis par l’Etat togolais, dans ce canton pour plus de sécurité. On parle d’un recensement des déplacés internes, en vue des actions humanitaires futures.

 

Robert Douti

Laabali.com