Alors que la region des savanes traverse la prise crise sécuritaire et humanitaire de son histoire, caractérisée par des attaques meurtrières attribuées aux groupes armés terroristes et un déplacement massif de civils, les gouvernements et les populations s’interrogent des alternatives de sécurité. Dans cette interview exclusive accordée à Laabali.com, Pr Aimé Gogué, natif de la religion des savanes et député à l’Assemblée nationale, donne sa lecture de la situation. Lomé, 29 juillet 2022.
Laabali.com: Pr Aimé Gogué, comment vivez-vous les deniers événements en cours dans les savanes, depuis votre domicile de Lomé?
Pr Aimé Gogué: C'est difficile de dire qu'on vit à Lomé lorsqu'on est de la zone. Tout ce qui arrive nous préoccupe tous, surtout qu'on a pas beaucoup d'informations. La communication est un peu faible de la part du gouvernement. Ce sont des rumeurs très souvent mais nous essayons de faire des vérifications pour savoir ce qui se passe réellement.C'est inquiétant lorsqu'on apprend surtout qu'il y'a des déplacés qui continuent de quitter leurs villages alors que nous sommes en saison des pluies.
Laabali.com: Les savanes sont la cible des attaques terroristes depuis plusieurs mois déjà. Quelle est votre analyse de la situation ?
Pr Aimé Gogué: C'est d'abord la situation géographique compte tenu du fait que nous sommes à proximité des pays du Sahel , surtout le Burkina Faso où sévit cette crise sécuritaire. Voyez-vous, je parlais de l'information. Jusqu'à présent nous ne savons pas exactement ce qui a entraîné les dernières tueries dans le Kpendjal et c'est inquiétant.Pour nous c'est difficile à digérer parce que ce sont des populations complètement démunis qui ne sont pas bien protégés. Je ne dis pas que c'est la faute au gouvernement mais c'est un état de fait dans la mesure où les gens viennent commettre des crimes et repartent. Nous n'avons pas une vision très clair de la situation mais nous espérons que cela puisse s'arranger bientôt.
Laabali.com: Pour lutter en amont contre la menace terroriste , le gouvernement a mis en place depuis bientôt 4 ans l'opération Koudjoaré. Quel bilan dressez-vous, quatre ans, après?
Pr Aimé Gogué: S'il y'a eu accélération des actes terroristes surtout ces derniers temps, je crois qu'il faut se rendre à l'évidence que les résultats ne sont pas au rendez vous et c'est inquiétant. On est tenté de se demander si les terroristes ne sont pas les plus présents dans le pays. Je crois que c'est un problème qu'on ne peut pas résoudre en ayant seulement recours aux forces armées . Je crois que le fait de ne pas trop associer les populations et les acteurs dans cette lutte contre le terrorisme est une erreur d'appréciation de la part du gouvernement. Si l'opération Koundjoare a été mis en place et qu'il y'a pas eu des mesures pour améliorer les relations entre les forces de l'ordre et la population, la probabilité que cela donne des résultats mitigés est très élevée et c'est à cela que nous assistons.
Labaali.com: L'opposition politique et la société civile sont pointées du doigt de ne pas se sentir concernées par la crise sécuritaire actuelle, mais beaucoup plus centrées sur des élections régionales ou de la restriction des libertés publiques. Que repondez-vous à cela?
Pr Aimé Gogue: C'est totalement faux ! Vous savez que j'étais l'un des premiers responsables politiques qui était présent sur le lieux, je vais parler du cas de Natigou. Ensuite j'ai fait une tournée dans la région durant la période qui a suivi les évènements de Natigou. Le premier message que je passais, c'était le comportement des populations par rapport à l'Etat d'urgence sécuritaire et le terrorisme. Et, évidemment , j'ai regretté que les populations n'aient pas été suffisamment informées par rapport aux objectifs de l'Etat d'urgence sécuritaire. Elles n'étaient au courant de rien. Les autorités locales n'étaient pas préoccupées à sensibiliser les populations sur ce sujet. C'est ce que moi j'ai fait. Dire que l'opposition politique et les acteurs de la société civile ne se sentent pas concernées c'est totalement faux.
Depuis l'attaque de Kpenkinkandi, beaucoup de leaders de politiques réagissent et également les organisations de la société civile ont réagi pour demander à être beaucoup plus impliquéés dans cette lutte.Il va de soi que nous n'avons pas, nous tous le gouvernement y compris beaucoup plus d'expérience dans la lutte parce le terrorisme est un phénomène nouveau au Togo. Évidemment , le gouvernement peut être un peu beaucoup plus informé que nous, compte tenu des rapports avec les pays extérieurs. Ceci peut apporter de nouvelles idées. Sinon je ne sais pas qui le dit, mais c'est totalement faux de dire que l'opposition politique et la société civile ne se sentent pas concernées.
Laabali.com: Partagez-vous l'idée selon laquelle notre armée est forte que contre les populations, alors qu'elle traine face aux terroristes, comme le soutiennent certains observateurs ?
Pr Aimé Gogue: Non, mais peut être qu'ils tiennent compte de ce qui s'est passé dans les autres pays comme le Mali et le Burkina. Tout le monde a félicité notre armée pour ce qu'elle fait et continue de faire. Je crois que l'armée togolaise est très disciplinée, c'est l'une des valeurs qu'on reconnaît à notre armée. La caractéristique la plus importante d'une armée c'est la discipline. Mais si l'armée est trop disciplinée, cela peut avoir des conséquences négatives parce que lorsque vous êtes très disciplinés il va de soit que vous n'ayez pas de marge de manœuvre pour prendre des initiatives or la lutte contre le terrorisme est un phénomène nouveau pour nos forces de l'ordre qui peut être n'ont pas appris à réagir et si vous êtes discipliné, vous allez attendre que l'ordre vienne de la hiérarchie et c'est un problème.
Donc, il peut arriver que la force de l'armée peut devenir sa faiblesse. La deuxième chose à savoir , c'est qu'on ne combat pas le terrorisme avec des chars. Notre armée n'a pas peut être les équipements qu'il faut pour la lutte contre les terroristes. Moi,je suis de l'opposition, je reproche toujours à l'armée le fait qu'elle a une forte propension à tabasser les civils,ça il faut le reconnaître, personne ne peut le nier, mais en même temps ils ont leur devoir qui est de protéger l'intégrité du territoire et les institutions de la République. Ça , elle le faisait probablement bien , mais avec la lutte contre le terrorisme qui est nouveau pour eux,peut-être des changements à apporter.
Laabali.com: En tant que fils des savanes, avez-vous pu échanger avec le chef de l'État pour lui faire des propositions sur la situation sécuritaire actuelle ?
Professeur Gogué:(rires), Bon ,le chef de l'Etat ne recoit pas n'importe qui et n'importe quand, n'importe où. Evidemment,j'ai essayé, j'essaie mais je n'ai pas encore de resultats. C'est mon devoir de dire ce que je pense et de faire des propositions et je n'hésite pas à le faire.
Laabali.com: En tant qu'ex-député, pensez-vous à un projet de loi ou une question d’interpellation du gouvernement sur la question des bœufs, et l’avenir des familles endeuillées de Natigou?
Pr Aimé Gogué: Le parlement n'a pas de pouvoir. La seule chose qu'il peut faire ce sont les interpellations, mais la stigmatisation d'une partie de la population c'est très dangereux. Si j'étais au parlement ,c'est juste une interpellation parce que le député n'a pas autant de pouvoirs que l'exsécutif.
Laabali.com: Amnesty international a accusé les autorités du Togo de violence sur des individus détenus, suspectés d’être affiliés au groupe armés terroristes. Qu'auriez vous si vous étiez encore au parlement ?
Pr Aimé Gogué:Oui certainement parce que moi j'ai été surpris par les réponses données par le chef de l'Etat à Dapaong.Ils n'ont fait référence à aucun aspect juridique, ils ont décidé d'arrêter les gens, ils n'ont fait appel à aucun juge.Ils disent qu'ils ont fait appel à un huissier pour vendre les boeufs.Ya t-il eu une décision de justice qui qu'il faut arrêter les boeufs, en vendre quelques un, envoyer d'autres à kara, à Atakpamé et à Lomé, je ne sais rien de tout ça! C'est totalement le non respect des droits ,ce n'est pas une bonne chose. Je crois qu'ii faudra revenir dessus. Ensuite personnellement j'ai été contre cette manière de traiter le problème parce que cette affaire des boeufs pour beaucoup expliquerait les dernières tueries. Peut être que ce sont des rumeurs.Il faut qu'on nous donne plus d'explication. L'assemblée nationale devrait interpeller le gouvernement à ce sujet.
Laabali.com: Quelles sont les vulnérabilités de la région des savanes dans la lutte contre le terrorisme ?
Pr Aimé Gogué: Beaucoup! D'abord nous sommes proches de là où sévissent les terroristes. La pauvreté , le chômage des jeunes et puis les conflits intra et intercommunautaires.Sans ignorer la politisation à outrance de la vie publique au Togo.
Laabali.com: A vous le dernier mot.....
Pr Aimé Gogué: J'appelle les populations à être en harmonie avec les forces de défense, à être en symbiose avec l'armée et demander à ce que des efforts soient fait en vue de dépolitiser la vie publique.
Interview réalisée par Robert Douti
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