Au Togo, la santé sexuelle et de la reproduction est un sujet qui préoccupe aussi bien les populations que les acteurs du système de santé. L'accès aux informations et aux services de qualité en matière de santé sexuelle et de la reproduction, et surtout de l'adoption des méthodes contraceptives restent encore limités. Dans cette interview, Robertine Libénandame Wodjaré, Assistante Médicale au Centre d’Excellence Jeune de l'association Togolaise pour le Bien être familial (ATBEF), répond aux questions de Robert Douti.
Laabali.com: Quelle est l'état des lieux de la santé sexuelle et de la reproduction en général ?
Wodjaré Robertine: La situation sur la santé sexuelle et reproductive (SSR) en Afrique subsaharienne reste toujours alarmante. Il faut noter que les taux de grossesses des jeunes et adolescents s’élèvent à 17.1%. Le taux de prévalence en contraception à 24 % et les besoins non satisfaits en contraception à 34%. Le taux de mortalité maternelle et infantile reste encore très élevé (401 femmes pour 100.000 naissances vivantes). Il faut aussi noter que l’implication faible des hommes et des garçons dans la santé sexuelle et de la reproduction ( SSR) avec pour effet, la culture de la masculinité négative, la hausse des violences basées sur le genre, le tout couronné par la hausse du taux de mortalité maternelle et infantile nous poussent encore à mieux faire. Certes des efforts ont été faits ces dernières années, mais beaucoup de choses restent à faire pour parvenir à un monde où le droit à la santé sexuelle et de la Reproduction (SSR )de tous est respecté.
Laabali.com: Aujourd'hui la santé sexuelle et de la reproduction est une préoccupation majeure dans plusieurs familles. Comment expliquez-vous cette situation ?
Wodjaré Robertine : Cette situation est dûe au fait que beaucoup de mythes entourent encore la santé sexuelle et de la reproduction ( SSR )dans les familles. Des propos codés sont utilisés pour désigner certains organes et actes sexuels.Cet état de fait ne permet pas aux couples et aux familles de discuter librement et ouvertement sur les sujets de la sexualité. En plus avec les taux élevés des grossesses précoces, des avortements clandestins et le taux élevé des infections sexuellement transmissibles y compris le VIH surtout chez les jeunes et adolescents, il est tout à fait normal que chacun puisse inscrire la santé de la reproduction (SR ) comme une préoccupation. Aujourd’hui, avec le coût de la vie, un enfant devient une charge et par conséquent, les familles doivent se demander s’il faut avoir beaucoup d'enfants ou en avoir peu afin de pouvoir mieux s'en occuper. Les décès liés aux cancers de seins et de l’utérus sont aujourd’hui une préoccupation des familles. Face à toute cette liste de défis, la santé de la reproduction (SR )devient une préoccupation sérieuse des familles et même des individus puisque la santé est avant tout une question individuelle avant d’être collective.
Laabali.com: Plusieurs femmes se plaignent des effets néfastes de certaines méthodes contraceptives sur leur santé. Quelle est la meilleure méthode contraceptive selon, vous madame ?
Wodjaré Robertine:Tout d’abord, on ne parle pas des effets néfastes mais plutôt d’effets indésirables. Cela dit, étant effets indésirables on peut alors apporter des éléments qui peuvent leur venir à bout .. N’oublions pas que toute chose au-delà de l’effet souhaité qu’on recherche, peut avoir d’autres effets et cela généralement varie d’un organisme à un autre.
LA MEILLEURE METHODE est celle qui est choisie LIBREMENT par la femme elle-même après avoir reçu toutes les informations claires et précises sur toutes les méthodes contraceptives. Autrement dit, la meilleure méthode est celle qui convient à la personne après son libre choix. Je rappelle que les méthodes de contraception ne sont pas imposées aux femmes, mais elles reçoivent ce que nous appelons dans notre jargon, le counseling général sur l’ensemble de toutes les méthodes, puis fait son choix et la prestataire lui fait de nouveau un counseling spécifique sur la méthode choisie. Par ailleurs, même devant son choix, la femme peut être amenée à changer de choix si au cours du questionnaire qu’elle doit répondre (check-list), elle n’est pas éligible à la méthode pour une raison ou pour une autre. Donc c’est dire que les prestataires qualifiés n’administrent pas les méthodes contraceptives aux femmes sans un préalable.
Laabali.com: Quelles sont les défis auxquels vous faites face spécifiquement avec les femmes des milieux ruraux dans le domaine de la santé sexuelle et de la reproduction ?
Wodjaré Robertine: La reconnaissance et le respect des droits à la santé sexuelle et de la reproduction (SSR )des femmes par leurs hommes. La communication parents -enfants sur les sujets de sexualités ,spécifiquement les défis avec les femmes en milieu rural sont pratiquement identiques à ceux qui sont rencontrés au niveau urbain. Cependant l’aspect lié à l’implication des hommes dans la santé de la reproduction (SR)de leur famille et surtout de leurs épouses peut être un élément de différenciation entre le milieu urbain et rural. Aujourd’hui, beaucoup d’hommes et jeunes garçons au niveau urbain sont ce qu’on peut appeler en milieu rural des « déviants ». Ils donnent l’opportunité à leurs époux d’exposer leur point de vue sur des questions du couple et surtout sont favorables au counseling de couple ; ce qui n’est pas vraiment ça en milieu rural. Pour beaucoup d’hommes en milieu rural, l’enfant est une richesse et en avoir beaucoup reste synonyme de richesse et de privilège sans penser aux tenants et aboutissants d’une famille nombreuse. Il y a ce que nous appelons une transformation positive des normes socioculturelles en milieu urbain (avec l’émergence des déviants positifs) et qui favorisent la femme et la jeune fille en lui donnant beaucoup plus de droits ; ce qui n’est pas le cas en milieu rural où les individus et pratiquement les collectivités ou familles sont rattachés aux normes et valeurs socioculturelles néfastes et dégradants (surtout les normes liées au genre)
Laabali.com: kystes ovariens, trompes bouchées, grossesses extra-utérines, règles douloureuses, fibromes sont désormais le quotidien des femmes. Quelles en sont les principales causes ?
Wodjaré Robertine : Elles sont souvent influencées par la vie génitale. les infections génitales non ou mal traitées,les Infections Sexuellement Transmissibles,l’obésité, la prises de certains médicaments et surtout l’automédication sont les principales causes. L’endométriose et les dérèglements hormonaux sont aussi des causes à ne pas occulter.
Laabali.com: Parlez-nous de l'hygiène en période de menstruations
Mme Wodjaré Robertine: SON OBJECTIF étant de permettre à la personne d’être en bonne santé et aussi de protéger son environnement , nous pouvons retenir ceci : se laver régulièrement, au moins trois fois par jours, disposer de serviettes hygiéniques propre et sèche en quantité afin de les changer au moins toutes les 4heures, bien les laver après utilisation et les sécher puis repasser(s’il s’agit des morceaux de pagnes) ou les détruire après chaque utilisation dans une fosse ou les bruler, ne pas utiliser certains médicaments ayant des effets néfastes ( les lotions pour toilettes intimes , certains ovules utilisés en période de menstruation pour éviter les odeurs etc.) et aussi l’utilisation des tampons vaginaux.
Laabali.com: Peut- on conseiller des méthodes contraceptives aux jeunes filles autre que les préservatifs?
Wodjaré Robertine : OUI, les jeunes ont le droit d’avoir accès à toutes les informations sur les différentes méthodes contraceptives. Comme nous l’avons dit plus haut, tout individu et surtout comme il s’agit des jeunes filles, elles peuvent avoir accès à toutes les méthodes contraceptives sans exception. Cependant, le protocole (counseling général, counseling spécifique, cheick-list) permet aux prestataires et à la jeune fille de comprendre si oui ou non, elle est éligible à la méthode ou pas. Sinon, aucune prescription scientifique n’interdit à un jeune d’adopter telle ou telle méthode. Néanmoins pour les méthodes irréversibles (vasectomie chez les hommes, la ligature de trompes chez les femmes), malgré la science et les droits en santé sexuelle et de la reproduction (SSR), chaque pays a élaboré un certain nombre de conditions pour pouvoir en bénéficier. Ce qui peut contraindre les jeunes à ne pas bénéficier de ces services puisqu’ils ne répondent pas aux critères définis par le pays.
Laabali.com: L' usage des méthodes contraceptives n'est- elle pas à l'origine des maux que connaissent la société sur le plan sexuel aujourd'hui?
wodjaré Robertine : NON , les méthodes contraceptives ont pour rôle d’empêcher la survenue de grossesses lorsqu’on pratique les rapports sexuels non protégés. En revanche le préservatif quant à lui, offre une double protection c’est-à-dire protège contre les grossesses et les infections (IST/VIH-SIDA).En d’autres termes, les méthodes contraceptives ne sont pas une nouveauté dans la civilisation africaine comme le pense beaucoup de personne. A l’origine, les méthodes contraceptives sont africaines avant d’être modernisées par les blancs qui ont découverts ces méthodes en Afrique et les ont modernisés. Lier les problèmes de la société sur le plan sexuel aux méthodes contraceptives serait aberrant d’autant plus que la connaissance de son corps reste un élément important. Plusieurs personnes ne maîtrisent pas leur corps et c’est un élément important dans la notion de santé sexuelle et de la reproduction ( SSR). De plus, l’Education à la santé sexuelle reste un élément important dans la construction sociale et sexuelle d’un individu. Toute personne devrait avoir cette éducation sexuelle pour mieux conduire sa vie mais malheureusement nous n’en recevons pas, ni de nos parents, ni de la société. Mais aujourd’hui, il faut saluer l’effort de l’ATBEF et de ses partenaires dans la promotion et la mise à l’échelle de l’Education sexuelle complète en milieu scolaire et extrascolaire. Ce qui produit aujourd’hui des résultats satisfaisants.
Laabali.com: Jeunesse et sexualité responsables, comment y arriver?
Mme Wodjaré Robertine : Pour y arriver, il faut que l'éducation aux valeurs et à la santé sexuelles (EVSS) ou encore l’Education Sexuelle Complète qui se définit (comme une manière d’aborder l’enseignement de la santé de la reproduction et des relations interpersonnelles qui soit adaptée à l’âge, culturellement pertinente et fondée sur une information scientifique précise, réaliste et s’abstenant de jugements de valeur) soit enseignée et pratiquée dans les familles et que ça soit intégré dans les curricula de formation
Laabali.com: Parlez-nous un peu du programme woézu et son impact sur la santé de la reproduction
Wodjarè Robertine: Le programme Woézou est une initiative du gouvernement togolais et de ses partenaires qui a pour objectif de réduire la mortalité maternelle et infantile en œuvrant pour l'accessibilité financière et géographique des femmes aux soins de santé pré et post-natale.
Laabali.com: Madame,votre mot de fin
Wodjaré Robertine : Merci pour cette opportunité offerte, je voulais ici exhorter les lecteurs de laabali.com à aller s’instruire en ligne sur la plateforme elearningatbef.org pour avoir toutes les informations sur tout ce qui concerne l’éducation aux valeurs et à la sante sexuels (EVSS) /Education Sexuelle Complète.Ils auront les informations scientifiques et exactes qui vont leur permettre de se protéger efficacement contre les maux qui minent la jeunesse aujourd’hui ( les IST , la transmission du VIH-SIDA , les grossesses précoces, non désirées et les violences basées sur le genre).
L’ATBEF a également mis à la disposition des jeunes et de l’ensemble de tous, l’application InfoAdoJeunes qui est téléchargeable sur Play store et qui a huits (08) onglets ( onglets téléconsultation (consultations en ligne), la connaissance sur le cycle menstruel, la contraception, l’onglet ligne verte ou on peut appeler un prestataire, jeux etc…..) avec des téléconseillers qui sont 24 h/24h connectés pour répondre aux questions.
Je vous remercie.
Interview réalisée par
Robert Douti
Laabali.com