Dans cette interview exclusive accordée à Laabali.com , le togolais Patrick Nébadi enseignant, homme de médias, spécialiste en communication politique, syndicaliste et défenseur des droits humains donne ses analyses relatives à l'avenir des médias et des journalistes africains, dans un contexte de crise d'insécurité ouestafricaine.
Laabali.com: Quel est votre regard sur les médias africains en général?
Patrick Nébadi: Les médias africains ont un avenir incertain. La presse est un tout petit peu atténuée, ne bénéficiant que rarement d'une demande accrue de lecteurs potentiels ; ceux-ci, citadins et alphabétisés ne représentent qu'une minorité longtemps réduites. L'influence de la presse internationale a été d'autant plus profonde que les journaux africains tributaires d'équipements, de matériels, de papiers même importés.
La lecture étant un acte individuel, impacte aussi sur la presse africaine. C'est surtout les réseaux sociaux qui viennent enfoncer le clou, mais nous espérons un avenir radieux à la presse africaine.
Quel est le pays qui vous passionne le plus en matière de liberté de presse, en Afrique?
Selon le rapport de Reporter Sans Frontières ( RSF) de 2019, beaucoup de pays africains occupent de bonnes places sur le plan mondial. C'est le cas de du Cap Vert 25 e, du Ghana 27 e, Burkina 36e... devant un pays démocratique comme la France. Curieusement, c'est la presse camerounaise qui me passionne beaucoup or le Cameroun est au rang 131.
Ce pays me passionne pour raison de libéralisation de l'espace médiatique. Beaucoup de médias traditionnels ont accédé au numérique. C'est un pays où l'on trouve facilement de grands universitaires, des jeunes leaders faire de débats sans être trop inquiétés. Ils sont aussi très actifs sur les nouveaux medias. Ça s'appelle qualité.
On parle souvent de médias militants en Afrique. Avez vous l'impression qu'il s'agit bien de cela?
On sent bien que <<le journaliste militant>> est un journaliste encore imparfait, un être en devenir. Il peine à s'extraire de la glaise sociale dont il est issu pour se modeler en journaliste à part entière, évoluant dans une stratosphère libérée des engagements partisans. Des fois, cette situation ne dépend de lui.
Vous savez, dans les années 90, avec le vent démocratique, la presse africaine surtout celle privée était une presse de combats. Et les journalistes et les patrons de presses étaient tous emballés par ce vent. Seuls les médias officiels tenaient les câbles et faisaient d'efforts pour continuer de polir l'image des dictateurs. Aujourd'hui, un grand effort est fait aux deux niveaux. Vous n'allez plus voir en fond d'écran, l'image d'un Chef d'Etat lors des JT comme nous voyions les Présidents Mobutu Eyadema ... dans le temps. Mais la perfection n'est pas de ce monde. Nous parlons toujours de la presse privée proches des pouvoirs africains et la presse privée proche de l'opposition. Cela veut dire que les médias militants existent. Cette fonction de militantisme est très visible avant, pendant et après les élections. C'est le journaliste qui choisit son angle, qui interviewer, la ligne éditoriale de sa presse, d'où il peut être influencé par un courant de pensée. Si nous acceptons que tout homme est politique, le journaliste peut avoir son penchant.
Un patron peut utiliser sa presse pour militer pour le changement démocratique ou accompagner les tyrans dans leurs propagandes. Le fait que les autorités africaines choisissent les presses qui peuvent les accompagner lors des voyages officiels fait penser à la bipolarisation de la presse africaine. Conclusion, les médias militants ou journalistes militants existent en Afrique. La déontologie du métier est là mais le terrain agit toujours sur l'homme.
Quels sont les faiblesses des médias africains?
Les faiblesses des médias africains sont multiples. Leurs épanouissements tournent autour des moyens. Aucun bon travail ne peut se faire sans les moyens. Mais nous pensons que l'explication économique, bien que valide, demeure insuffisante pour rendre compte des des difficultés structurelles que connaît le journalisme africain depuis l'avènement de l'ère multipartite.
Notre hypothèse est que ces lacunes profondes s'expliquent par ce que nous appellerons une ratée historique, soit l'omission de mettre sur pied, dès la libéralisation du paysage médiatique à l'aube des années 90, aussi bien une déontologie pensée qui encadre la profession qu'une base philosophique cohérente qui en sustente le fonctionnement. La presse ne nourrit pas son homme. C'est une expression en vogue dans les milieux médiatiques. Les émoluments proposés dans les contrats de collaboration ne permettent même pas au journaliste de se déplacer. Derrière la belle voix qui est au micro, se trouve un homme mal rémunéré. Le reste c'est l'engagement et la passion. L'industrie de presse n'est pas productive et l'aide de l'État à la presse est très dérisoire. Cette situation n'encourage pas la résistance aux médias à la corruption. Nous avons l'habitude de dire que c'est la main qui donne qui dirige. La presse écrite africaine n'est pas viable économiquement.
La rentabilité d’un média dépend intrinsèquement de la viabilité économique de son environnement. Dans une ville comme Lomé, beaucoup de médias n'ont pas de rentrées publicitaires très importantes. Au Niger par exemple, il y a peu de journaux et ils ont du mal à survivre du fait de la pauvreté des populations et de la quasi-absence de publicité. Pour développer les médias de façon durable, il faut d’abord favoriser le développement économique. Faute de quoi, leur survie passera immanquablement par des subventions, et ça n’est pas une solution ; dans ce genre de situation, les publications et leurs journalistes ne sont pas respectés.
Quand on n’a pas les moyens de faire son travail, cela se traduit par une perte de crédibilité. Souvent, les journalistes ne sont pas payés du tout. Par conséquent, ils prennent de l’argent à droite et à gauche ; dès qu’il y a un projet intéressant en communication dans une entreprise, une ONG ou une institution internationale, ils laissent tomber leur plume et se font embaucher. Ce problème de rémunération des journalistes freine énormément le développement de l’information en Afrique. C’est une réalité. Comment créer un réel quatrième pouvoir, si les médias n’ont pas les moyens de faire des enquêtes, d’aller sur le terrain ? Ils ne peuvent pas contrôler le bon fonctionnement des institutions. Seulement au Nigeria et en Afrique du Sud, les médias ont un certain capital, une certaine organisation qui permet aux journalistes de faire leur travail dans des conditions acceptables.
Dans la plupart des pays, ce n’est malheureusement pas le cas. Il arrive à des patrons de radios ou de presses d'avoir un bienfaiteur politique. Comment une telle radio peut-elle dénoncer les actes isolés de cet homme? Tout ceci menace sérieusement l'impartialité de la presse africaine.
Avez vous des doutes quant au professionnalisme de certains journalistes? lesquels?
<< Les journalistes agacent. Touche-à-tout insaisissables, on ne sait guère ce qu'ils font, comment ils produisent, où ils se situent, à quelle catégorie les rapporter : ils semblent inclassables. Leur profession ? Comment savoir où elle débute et où elle finit : on ne lui connaît aucune limite précise. >> sont des termes que l'on peut rencontrer dans <<Le journalisme ou le professionnalisme du flou>> de Denis RUELLAN.
Les discours véhéments sur la déontologie, la compétence technique, ou l'organisation du groupe, colmatent sans espoir une rare imprécision des procédures de production. Mais on ne naît pas journaliste, on le devient. Ça voudra dire que les journalistes se forment soit dans des écoles de formation professionnelle ou par le tas. C'est un métier et tout métier s'apprend. Par là, il ne m'appartient pas de dire si tel journaliste est professionnel et tel ne l'est pas. L'essentiel est la prise en compte de la déontologie du métier surtout la méfiance à l'égard de la corruption.
Comment voyez-vous l'avenir des médias africains?
Pour ce qui est de l'avenir des médias africains, je peux dire qu'il est sombre. La presse africaine meurt pour faute de moyens. La vitesse des réseaux sociaux met aussi mal à l'aise les médias traditionnels africains. Avec les TIC, les informations percent à la minute même si les réseaux sociaux sont des nids des intox beaucoup s'y intéressent.
Face à l'insecurité de certains pays africains, marqués par le terrorisme. Comment les medias doivent-ils traiter l'information?
En situation de crise, il est possible qu'il y ait une surinformation. Mais la gestion de cette surinformation par le journaliste doit faire l'objet d'une grande rigueur, où tout journaliste professionnel fait appel à des compétences spécifiques, notamment face à la banalisation des médias en ligne gratuits dont les gens peuvent facilement se servir pour intoxiquer au-delà des frontières nationales. Les journalistes doivent adopter des comportements spécifiques afin de faire éviter la panique totale. Ces comportements que le journaliste doit avoir en pareille situation doivent faire l'objet d'un type particulier d'enseignement/apprentissage dans la formation du journaliste. J'émets le voeu que cette contribution en appelle à une nouvelle éthique de la communication en matière de journalisme dans les pays où le terrorisme fait rage. C'est l'une des voies pouvant conduire à une bonne gestion de l'information en période de crise.
Votre message aux jeunes journalistes?
Je ne peux finir cette interview sans dire mot aux jeunes journalistes. Chers jeunes journalistes, on ne vient pas dans ce métier pour s'enrichir. C'est un métier de passion. Quelles n'étaient souvent mes joies de réécouter mes émissions ? La joie de causer, de frôler mes invités après une émission ? La joie d'être encouragé en direct ? La joie de poser ma voix sur un spot publicitaire ? Ça aussi c'est une vie. C'est un choix. Votre plume, votre voix , votre micro, votre enregistreur, votre caméra, votre gilet, votre carte de presse ont un prix devant le public. Bon vent à vous.
Interview réalisée par Edouard Kamboissoa Samboé
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