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Terrorisme

Humanitaire : Sur les traces des six orphelins de Djouatou témoins de l’assassinat de leurs parents

par Edouard Samboe - 2023-05-15 18:11:50 2178 vue(s) 0 Comment(s)

« Ma mère gémissait toute la nuit et c’est au petit matin qu’elle est morte ». Tel est le dernier souvenir de Yalbondja Lalle, 13 ans, de sa défunte mère. « Elle a été tuée par des individus, des silhouettes noires, c’était la nuit du 16 janvier 2023 ». Dans le village de Djoatou, canton de Bagré, commune de Kpendjal 1, la mort y était passée. Nous sommes au nord du Togo [région des Savanes, en proie aux activités des groupes armés extrémistes, depuis 2021]. Les victimes, Kountondja Dametote âgée 30 ans, et son époux, Djargue Lalle Matièbe, 43 ans, mourraient des suites d’un passage d’un groupe armé. Seuls témoins de la mort de leurs parents, les six orphelins se meurent loin des regards tout en gérant leurs traumas. Cinq mois plus tard, ils délient les langues, dans cette enquête Laabali.

« La guerre n’épargne pas les innocents ». Cette assertion populaire peut s’appliquer aux six orphelins issus du drame 16 janvier de Djouatou. Il s’agit de Lalle Arzouma né en 2009 ; Lalle yarbondja en 2010 ; Lalle Boultchime en 2004 ; Lalle Lamoussa en 2012 ; Lalle Yarbompo en 2021 ; Lalle Liguili en 2015 et Lalle Lène ,10 ans. Ils ont vu l’assassinat de leurs parents, fui leurs villages et leurs avoirs, vivent désormais, comme orphelins dans une famille d’accueil, auprès de leur oncle. Le plus jeune n’a que deux ans. Ils étaient tous là, quand on assassinait leurs parents.

Le douloureux récit de ces six enfants avait créé une onde de choc, au sein de l’opinion nationale, le 17 Janvier dernier. Quelques heures plus tôt, à 21h, un groupe armé a donné la mort à un couple. C’était à Djouatou, un hameau d’environ 150 concessions, peuplé d’agriculteurs et d’éleveurs. Ce jour-là, la panique s’empare du village et provoque la fuite des villageois. Le village se vide, et les groupes armés s’emparent du reste des bétails.

C’est après l’enterrement de leurs défunts parents, que Lalle Yarbondja et ses frères vont quitter définitivement le village. Au milieu d’une file d’hommes et femmes, munis de bagages et de charrettes, ils sont vus pour la dernière fois, dans le Kpendjal.

Ils vivent dans une famille d’accueil….

Le 14 mai dernier, sous un après-midi ensoleillé, nous prenons la route de Tchankounkounkong. Il s’agit d’un village du canton de Namaré au nord-ouest de Tône. Il était dit que c’est là que se trouveraient les enfants de feu Matièbe . Le calme de la nature est là. Mais il est aussi troublé par endroit par des chants des oiseaux d’hivernage. Au bout de trois quarts d’heures de route, nous sommes au marché de  Djitague. Une piste serpentée nous conduit dans la cour d’une grande concession. Des femmes se reposent sous une paillotte couverte de tiges de mil.

Après les Salamalecks s’en suit un silence lourd.  Comment entamer la conversation pour ne pas retourner le couteau dans la plaie ? De toutes les façons, il faut parler. Nous nous présentons puis annonçons l’objet de notre visite. Le chef du ménage et frère ainé du défunt nous remercie pour notre compassion. « Après l’enterrement, nous sommes revenus faire les funérailles ici. Nous ne pouvons rien, il faut laisser tout à Dieu ». Il replis aussitôt les doigts, et baisse le regard. Après un bref silence, le regard vers le ciel, il soupire. À la question de savoir s’ils ont reçu un quelconque soutien, il répond à la négative, avant de poursuivre : « Moi, c’est le cas des enfants qui m’inquiète. Un agent des affaires sociales était venu ici mais depuis, plus aucun signe ». Des six orphelins, seuls deux sont scolarisés Yarbondja (13 ans) et Arzouma sa demi-sœur ainée, tous au Cours élémentaire deuxième année.

Des enfants encore sous le choc…

Dametote Baldja est l’une des dernières personnes à avoir côtoyé les victimes. » Cette soirée nous étions ensemble chez le chef du village de Enamounfouali jusqu’aux environs de 19 heures. Je me rappelle, il était couché dans une chaise en bois, puis il a reçu un appel ».  » C’est moi qui l’avais appelé et il m’a dit qu’il était en train de revenir ». A peine a-t-elle fini sa phrase, qu’interrompt Yarbondja, le garçon ainé des défunts  qui ajoute: « Nous étions couchés dans la chambre et puis à un moment, nous avons entendu des gens frapper à la porte. Nous nous sommes réveillés et nous avons vu des gens dans le noir. Nous nous sommes terrés dans la chambre. Ils ont défoncé la porte et ils sont rentrés. Lorsqu’ils ressortaient de la chambre, ma mère les suivait en criant. Ils lui ont percé le côté par un coup de feu et elle est tombée. Elle a crié et m’a appelé de sortir. Mes petits frères et moi nous sommes sortis. Je lui ai parlé, elle ne me répondait pas. Elle gémissait. Je suis rentré pour appeler mon père pensant qu’il dormait, mais j’ai découvert qu’on l’avait tué aussi. Je suis retourné me cacher avec mes petits frères dans la chambre. Ma mère gémissait toute la nuit et c’est au petit matin qu’elle est morte. Au lever du jour, je suis allé appeler mon oncle ».

Les derniers mots de Yarbondja sont à peine audibles. Il couvre son visage avec sa chemise pour cacher ses larmes. Le choc est encore perceptible et le traumas se manifeste encore, cinq mois après.

L’incompréhension et le désespoir….

Désormais, les six enfants sont à la charge de leur oncle paternel. Ce dernier, tout autant traumatisé que ses neveux dit ne pas comprendre ce qui lui arrive. « Il m’avait appelé quelques heures avant sa mort pour me dire qu’il reviendra le lendemain pour que nous allions payer les frais de formation de sa fille ainée, mais il n’est plus revenu ».

Dans la cour intérieure de la maison, la mère du défunt, quatre-vingt ans environ serre sa petite fille dans ses bras.  » Que dirai-je moi ? », lâche-t-elle , c’est comme s’il était conscient de ce qui lui arriverait. Il disait souvent, qu’il ne sait pas s’il mourrait suite à une maladie ou par balle parce qu’il sait qu’il a beaucoup d’ennemis. » Se rappelle la vieille.

Fauchés dans la fleur de l’âge respectivement à 43 ans et 30 ans, Djargue Lalle Matièbe et son épouse Damitote sont partis laissant ceux-là même pour qui ils se battaient. Que deviendront ces enfants dont la majorité reste analphabète ? En attendant un probable soutien de la cellule de prise en charge psychologique dont parlait le gouvernement, Lalle Arzouma et ses petits frères trainent un traumatisme profond et l’horizon est loin de s’éclaircir pour ses tout petits qui ont veillé auprès du corps de leurs parents morts dans la douleur.

Aujourd’hui, Djouatou est vide, tout comme Enamoufouli. Sansièk et Tarou aussi. Bagré est secoué par les incursions armées terroristes, alors que les villages tels que Lallabiga, Kpembol, Tambima, Kpinkankandi et Tiwori sont vidés de leurs populations. L’histoire desdits enfants, c’est l’histoire des enfants des Savanes, qui luttent contre une guerre qui leur imposée, dont les conséquences humanitaires et sociales restent énormes.

Robert Douti

Laabali

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